Métrique en Ligne
VER_8/VER514
Paul VERLAINE
BONHEUR
1891
III
Après la chose faite, après le coup porté, 12
Après le joug très dur librement accepté, 12
Et le fardeau, plus lourd que le ciel et la terre, 12
Levé d'un dos vraiment et gaîment volontaire, 12
5 Après la bonne haine et la chère rancœur, 12
Le rêve de tenir, implacable vainqueur, 12
Les ennemis du cœur et de l'âme et les autres ; 12
De voir couler des pleurs plus affreux que les nôtres 12
De leurs yeux dont on est le Moïse au rocher, 12
10 Tout ce train mis en fuite et courez le chercher ! 12
Alors on est content comme au sortir d'un rêve, 12
On se retrouve net, clair, simple, on sent que crève 12
Un abcès de sottise et d'erreur, et voici 12
Que de l'éternité, symbole en racourci 12
15 Toute une plénitude afflue, aime et s'installe, 12
L'être palpite entier dans la forme totale, 12
Et la chair est moins faible et l'esprit est moins prompt ; 12
Désormais, on le sait, on s'y tient, fleuriront 12
Le lys du faire pur, celui du chaste dire 12
20 Et, si daigne Jésus, la rose du martyre 12
Alors on trouve, ô Dieu si lent à vous venger, 12
Combien doux est le joug et le fardeau léger ! 12
Charité, la plus forte entre toutes les Forces, 12
Tu veux dire, saint piège aux célestes amorces, 12
25 Les mains tendres du fort, de l'heureux et du grand 12
Autour du sort plaintif du faible et du souffrant. 12
Le regard franc du riche au pauvre exempt d'envie 12
Ou jaloux, et ton nom encore signifie 12
Quelle douceur choisie, et quel droit dévouement, 12
30 Et ce tact virginal, et l'ange exactement ! 12
Mais l'ange est innocent, essence bienheureuse, 12
Il n'a point à passer par notre vie affreuse 12
Et toi, Vertu sans pair, presqu'Une, n'es-tu pas 12
Humaine en même temps que divine, ici-bas ? 12
35 Aussi la conscience a dû, pour des fins sûres, 12
Surtout sentir en toi le pardon des injures. 12
Par toi nous devenons semblables à Jésus 12
Portant sa croix infâme et qui, cloué dessus, 12
Priait pour ses bourreaux d'Israël et de Rome, 12
40 A Jésus qui, du moins, homme avec tout d'un homme, 12
N'avait, lui, jamais eu de torts de son côté, 12
Et, par Lui, tu nous fais croire en l'éternité. 12
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