Métrique en Ligne
VER_7/VER321
Paul VERLAINE
AMOUR
1888
LUCIEN LÉTINOIS
XVII
Ce portrait qui n’est pas ressemblant, 9
Qui fait roux tes cheveux noirs plutôt, 9
Qui fait rose ton teint brun plutôt, 9
Ce pastel, comme il est ressemblant ! 9
5 Car il peint la beauté de ton âme, 9
La beauté de ton âme un peu sombre 9
Mais si chère au fond que, sur mon âme, 9
Il a raison de n’avoir pas d’ombre. 9
Tu n’étais pas beau dans le sens vil 9
10 Qu’il paraît qu’il faut pour plaire aux dames, 9
Et, pourtant, de face et de profil, 9
Tu plaisais aux hommes comme aux femmes, 9
Ton nez certes n’était pas si droit, 9
Mais plus court qu’il n’est dans le pastel, 9
15 Mais plus vivant que dans le pastel, 9
Mais aussi long et droit que de droit. 9
Ta lèvre et son ombre de moustache 9
Fut rouge moins qu’en cette peinture 9
Où tu n’as pas du tout de moustache, 9
20 Mais c’est ta souriante si pure. 9
Ton port de cou n’était pas si dur, 9
Mais flexible, et d’un aigle et d’un cygne ; 9
Car ta fierté parfois primait sur 9
Ta douceur dive et ta grâce insigne. 9
25 Mais tes yeux, ah ! tes yeux, c’est bien eux, 9
Leur regard triste et gai, c’est bien lui, 9
Leur éclat apaisé c’est bien lui, 9
Ces sourcils orageux, que c’est eux ! 9
Ah ! portrait qu’en tous les lieux j’emporte 9
30 Où m’emporte une fausse espérance, 9
Ah ! pastel spectre, te voir m’emporte 9
Où ? parmi tout, jouissance et transe ! 9
O l’élu de Dieu, priez pour moi, 9
Toi qui sur terre étais mon bon ange ; 9
35 Car votre image, plein d’alme émoi, 9
Je la vénère d’un culte étrange. 9
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