Métrique en Ligne
VER_7/VER273
Paul VERLAINE
AMOUR
1888
UN CRUCIFIX
A GERMAIN NOUVEAU
Église Saint-Géry, Arras.
AU bout d’un bas-côté de l’église gothique, 12
Contre le mur qui vient baiser le jour mystique 12
D’un long vitrail d’azur et d’or finement roux, 12
Le Crucifix se dresse, ineffablement doux, 12
5 Sur sa croix peinte en vert aux arêtes dorées, 12
Et la gloire d’or sombre en langues échancrées 12
Flue autour de la tête et les bras étendus, 12
Tels quatre vols de flamme en un seul confondus. 12
La statue est en bois, de grandeur naturelle, 12
10 Légèrement teintée, et l’on croirait sur elle 12
Voir s’arrêter la vie à l’instant qu’on la voit, 12
Merveille d’art pieux, celui qui la fit doit 12
N’avoir fait qu’elle et s’être éteint clans la victoire 12
D’être un bon ouvrier trois fois sûr de sa gloire. 12
15 « Voilà l’homme ! » Robuste et délicat pourtant. 12
C’est bien le ‘corps qu’il faut pour avoir souffert tant, 12
Et c’est bien la poitrine où bat le Cœur immense : 12
Par les lèvres le souffle expirant dit, « Clémence » 12
Tant l’artiste les a disjointes saintement, 12
20 Et les bras grands ouverts prouvent le Dieu clément ; 12
La couronne d’épine est énorme et cruelle 12
Sur le front inclinant sa pâleur fraternelle 12
Vers l’ignorance humaine et l’erreur du pécheur, 12
Tandis que, pour noyer le scrupule empêcheur 12
25 D’aimer et d’espérer comme la Foi l’enseigne, 12
Les pieds saignent, les mains saignent, le côté saigne ; 12
On sent qu’il s’offre au Père en toute charité. 12
Ce vrai Christ catholique éperdu de bonté, 12
Pour spécialement sauver vos âmes tristes, 12
30 Pharisiens naïfs, sincères jansénistes ! 12
– Un ami qui passait, bon peintre et bon chrétien 12
Et bon poète aussi, – les trois s’accordent bien, – 12
Vit cette œuvre sublime et fit une copie 12
Exquise, et surprenant mon regard qui l’épie, 12
35 Très gracieusement chez moi vint l’oublier. 12
Et j’ai rimé ces vers pour le remercier. – 12
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