Métrique en Ligne
VER_5/VER189
Paul VERLAINE
SAGESSE
1881
III
II
Du fond du grabat 5
As-tu vu l’étoile 5
Que l’hiver dévoile ? 5
Comme ton cœur bat, 5
5 Comme cette idée, 5
Regret ou désir, 5
Ravage à plaisir 5
Ta tête obsédée, 5
Pauvre tête en feu, 5
10 Pauvre cœur sans dieu 5
L’ortie et l’herbette 5
Au bas du rempart 5
D’où l’appel frais part 5
D’une aigre trompette, 5
15 Le vent du coteau, 5
La Meuse, la goutte 5
Qu’on boit sur la route 5
A chaque écriteau, 5
Les sèves qu’on hume, 5
20 Les pipes qu’on fume ! 5
Un rêve de froid : 5
« Que c’est beau la neige 5
Et tout son cortège 5
Dans leur cadre étroit ! 5
25 Oh ! tes blancs arcanes, 5
Nouvelle Archangel, 5
Mirage éternel 5
De mes caravanes ! 5
Oh ! ton chaste ciel, 5
30 Nouvelle Archangel ? » 5
Cette ville sombre ! 5
Tout est crainte ici… 5
Le ciel est transi 5
D’éclairer tant d’ombre. 5
35 Les pas que tu fais 5
Parmi ces bruyères 5
Lèvent des poussières 5
Au souffle mauvais… 5
Voyageur si triste, 5
40 Tu suis quelle piste ? 5
C’est l’ivresse à mort, 5
C’est la noire orgie, 5
C’est l’amer effort 5
De ton énergie 5
45 Vers l’oubli dolent 5
De la voix intime, 5
C’est le seuil du crime, 5
C’est l’essor sanglant. 5
– Oh ! fuis la chimère : 5
50 Ta mère, ta mère ! 5
Quelle est cette voix 5
Qui ment et qui flatte ! 5
«Ah ! la tête plate, 5
Vipère des bois !» 5
55 Pardon et mystère. 5
Laisse ça dormir, 5
Qui peut, sans frémir, 5
Juger sur la terre ? 5
« Ah ! pourtant, pourtant, 5
60 Ce monstre impudent ! » 5
La mer ! Puisse-t elle 5
Laver ta rancœur, 5
La mer au grand cœur. 5
Ton aïeule, celle 5
65 Qui chante en berçant 5
Ton angoisse atroce, 5
La mer, doux colosse 5
Au sein innocent, 5
Grondeuse infinie 5
70 De ton ironie ! 5
Tu vis sans savoir ! 5
Tu verses ton âme, 5
Ton lait et ta flamme 5
Dans quel désespoir ? 5
75 Ton sang qui s’amasse 5
En une fleur d’or 5
N’est pas prêt encor 5
A la dédicace. 5
Attends quelque peu, 5
80 Ceci n’est que jeu. 5
Cette frénésie 5
T’initie au but. 5
D’ailleurs, le salut 5
Viendra d’un Messie 5
85 Dont tu ne sens plus, 5
Depuis bien des lieues, 5
Les effluves bleues 5
Sous tes bras perclus, 5
Naufrage d’un rêve 5
90 Qui n’a pas de grève ! 5
Vis en attendant 5
L’heure toute proche. 5
Ne sois pas prudent. 5
Trêve à tout reproche. 5
95 Fais ce que tu veux. 5
Une main te guide 5
A travers le vide 5
Affreux de tes vœux. 5
Un peu de courage, 5
100 C’est le bon orage. 5
Voici le Malheur 5
Dans sa plénitude. 5
Mais à sa main rude 5
Quelle belle fleur ! 5
105 « La brûlante épine ! » 5
Un lis est moins blanc, 5
« Elle m’entre au flanc. » 5
Et l’odeur divine ! 5
« Elle m’entre au cœur. » 5
110 Le parfum vainqueur ! 5
« Pourtant je regrette, 5
Pourtant je me meurs, 5
Pourtant ces deux cœurs… » 5
Lève un peu la tête : 5
115 « Eh bien, c’est la Croix. » 5
Lève un peu ton âme 5
De ce monde infâme. 5
« Est-ce que je crois ? » 5
Qu’en sais-tu ? La Bête 5
120 Ignore sa tête, 5
La Chair et le Sang 5
Méconnaissent l’Acte. 5
« Mais j’ai fait un pacte 5
Qui va m’enlaçant 5
125 A la faute noire, 5
Je me dois à mon 5
Tenace démon : 5
Je ne veux point croire. 5
Je n’ai pas besoin 5
130 De rêver si loin ! 5
« Aussi bien j’écoute 5
Des sons d’autrefois. 5
Vipère des bois, 5
Encor sur ma route ? 5
135 Cette fois tu mords. » 5
Laisse cette bête. 5
Que fait au poète ? 5
Que sont des cœurs morts ? 5
Ah ! plutôt oublie 5
140 Ta propre folie. 5
Ah ! plutôt, surtout, 5
Douceur, patience, 5
Mi-voix et nuance, 5
Et paix jusqu’au bout ! 5
145 Aussi bon que sage, 5
Simple autant que bon, 5
Soumets ta raison 5
Au plus pauvre adage, 5
Naïf et discret, 5
150 Heureux en secret ! 5
Ah ! surtout, terrasse 5
Ton orgueil cruel, 5
Implore la grâce 5
D’être un pur Abel, 5
155 Finis l’odyssée 5
Dans le repentir 5
D’un humble martyr, 5
D une humble pensée. 5
Regarde au-dessus… 5
160 « Est-ce vous, JÉSUS ? » 5
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