Métrique en Ligne
VER_5/VER164
Paul VERLAINE
SAGESSE
1881
I
XII
Or, vous voici promus, petits amis, 10
Depuis les temps de ma lettre première, 10
Promus, disais-je, aux fiers emplois promis 10
A votre thèse, en ces jours de lumière. 10
5 Vous voici rois de France ! A votre tour ! 10
(Rois à plusieurs d’une France postiche, 10
Mais rois de fait et non sans quelque amour 10
D’un trône lourd avec un budget riche.) 10
A l’œuvre, amis petits ! Nous avons droit 10
10 De vous y voir, payant de notre poche, 10
Et d’être un peu réjouis à l’endroit 10
De votre état sans peur et sans reproche. 10
Sans peur ? Du maître ? O le maître, mais c’est 10
L’Ignorant-chiffre et le Suffrage-nombre, 10
15 Total, le peuple, «un âne» fort «qui s’est 10
Cabré», pour vous, espoir clair, puis fait sombre, 10
Cabré comme une chèvre, c’est le mot. 10
Et votre bras, saignant jusqu’à l’aisselle, 10
S’efforce en vain : fort comme Béhémot, 10
20 Le monstre tire… et votre peur est telle 10
Que l’âne brait, que le voilà parti 10
Qui par les dents vous boute cent ruades 10
En forme de reproche bien senti… 10
Courez après, frottant vos reins malades ! 10
25 O Peuple, nous t’aimons immensément : 10
N’es-tu donc pas la pauvre âme ignorante 10
En proie à tout ce qui sait et qui ment ? 10
N’es-tu donc pas l’immensité souffrante ? 10
La charité nous fait chercher tes maux, 10
30 La foi nous guide à travers les ténèbres. 10
On t’a rendu semblable aux animaux 10
Moins leur candeur, et plein d’instincts funèbres, 10
L’orgueil t’a pris en ce quatre-vingt-neuf, 10
Nabuchodonosor, et te fait paître, 10
35 Ane obstiné, mouton buté, dur bœuf, 10
Broutant pouvoir, famille, soldat, prêtre ! 10
O paysan cassé sur tes sillons, 10
Pâle ouvrier qu’esquinté à machine, 10
Membres sacrés de Jésus-Christ, allons, 10
40 Relevez-vous, honorez votre échine, 10
Portez l’amour qu’il faut à vos bras forts, 10
Vos pieds vaillants sont les plus beaux du monde, 10
Respectez-les, fuyez ces chemins tors, 10
Fermez l’oreille à ce conseil immonde, 10
45 Redevenez les Français d’autrefois, 10
Fils de l’Église, et dignes de vos pères ! 10
O s’ils savaient ceux-ci sur vos pavois, 10
Leurs os sueraient de honte aux cimetières. 10
– Vous, nos tyrans minuscules d’un jour 10
50 (L’énormité des actes rend les princes 10
Surtout de souche impure, et malgré cour 10
Et splendeur et le faste, encor plus minces), 10
Laissez le règne et rentrez dans le rang. 10
Aussi bien l’heure est proche où la tourmente 10
55 Vous va donner des loisirs, et tout blanc 10
L’avenir flotte avec sa fleur charmante 10
Sur la Bastille absurde où vous teniez 10
La France aux fers d’un blasphème et d’un schisme, 10
Et la chronique en de cléments Téniers 10
60 Déjà vous peint allant au catéchisme. 10
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