Métrique en Ligne
VER_4/VER140
Paul VERLAINE
ROMANCES SANS PAROLES
1870
Birds in the night
Vous n’avez pas eu toute patience, 10
Cela se comprend par malheur, de reste ; 10
Vous êtes si jeune ! Et l’insouciance, 10
C’est le lot amer de l’âge céleste ! 10
5 Vous n’avez pas eu toute la douceur, 10
Cela par malheur d’ailleurs se comprend ; 10
Vous êtes si jeune, ô ma froide sœur, 10
Que votre cœur doit être indifférent ! 10
Aussi, me voici plein de pardons chastes, 10
10 Non, certes ! joyeux, mais très calme en somme 10
Bien que je déplore, en ces mois néfastes, 10
D’être, grâce à vous, le moins heureux homme. 10
***
Et vous voyez bien que j’avais raison 10
Quand je vous disais, dans mes moments noirs, 10
15 Que vos yeux, foyers de mes vieux espoirs, 10
Ne couvaient plus rien que la trahison. 10
Vous juriez alors que c’était mensonge 10
Et votre regard qui mentait lui-même 10
Flambait comme un feu mourant qu’on prolonge, 10
20 Et de votre voix vous disiez : « Je t’aime ! » 10
Hélas ! on se prend toujours au désir 10
Qu’on a d’être heureux malgré la saison… 10
Mais ce fut un jour plein d’amer plaisir, 10
Quand je m’aperçus que j’avais raison! 10
***
25 Aussi bien pourquoi me mettrais-je à geindre ? 10
Vous ne m’aimiez pas, l’affaire est conclue, 10
Et, ne voulant pas qu’on ose me plaindre, 10
Je souffrirai d’une âme résolue. 10
Oui! je souffrirai, car je vous aimais ! 10
30 Mais je souffrirai comme un bon soldat 10
Blessé qui s’en va dormir à jamais, 10
Plein d’amour pour quelque pays ingrat. 10
Vous qui fûtes ma Belle, ma Chérie, 10
Encor que de vous vienne ma souffrance, 10
35 N’êtes-vous donc pas toujours ma Patrie, 10
Aussi jeune, aussi folle que la France ? 10
***
Or, je ne veux pas — le puis-je d’abord ? 10
Plonger dans ceci mes regards mouillés. 10
Pourtant mon amour que vous croyez mort 10
40 A peut-être enfin les yeux dessillés. 10
Mon amour qui n’est que ressouvenance, 10
Quoique sous vos coups il saigne et qu’il pleure 10
Encore et qu’il doive, à ce que je pense, 10
Souffrir longtemps jusqu’à ce qu’il en meure, 10
45 Peut-être a raison de croire entrevoir 10
En vous un remords qui n’est pas banal, 10
Et d’entendre dire, en son désespoir, 10
À votre mémoire : ah ! fi ! que c’est mal ! 10
***
Je vous vois encor. J’entr’ouvris la porte. 10
50 Vous étiez au lit comme fatiguée. 10
Mais, ô corps léger que l’amour emporte, 10
Vous bondîtes nue, éplorée et gaie. 10
Ô quels baisers, quels enlacements fous ! 10
J’en riais moi-même à travers mes pleurs. 10
55 Certes, ces instants seront, entre tous 10
Mes plus tristes, mais aussi mes meilleurs. 10
Je ne veux revoir de votre sourire 10
Et de vos bons yeux en cette occurrence 10
Et de vous enfin, qu’il faudrait maudire, 10
60 Et du piège exquis, rien que l’apparence. 10
***
Je vous vois encore ! En robe d’été 10
Blanche et jaune avec des fleurs de rideaux. 10
Mais vous n’aviez plus l’humide gaîté 10
Du plus délirant de tous nos tantôts. 10
65 La petite épouse et la fille aînée 10
Était reparue avec la toilette 10
Et c’était déjà notre destinée 10
Qui me regardait sous votre voilette. 10
Soyez pardonnée ! Et c’est pour cela 10
70 Que je garde, hélas ! avec quelque orgueil, 10
En mon souvenir qui vous cajola 10
L’éclair de côté que coulait votre œil. 10
***
Par instants je suis le pauvre navire 10
Qui court démâté parmi la tempête 10
75 Et, ne voyant pas Notre-Dame luire, 10
Pour l’engouffrement en priant s’apprête. 10
Par instants je meurs la mort du pécheur 10
Qui se sait damné s’il n’est confessé, 10
Et, perdant l’espoir de nul confesseur, 10
80 Se tord dans l’Enfer, qu’il a devancé. 10
Ô mais ! par instants, j’ai l’extase rouge 10
Du premier chrétien, sous la dent rapace, 10
Qui rit à Jésus témoin, sans que bouge 10
Un poil de sa chair, un nerf de sa face ! 10
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