Métrique en Ligne
VER_30/VER883
Paul VERLAINE
FEMMES
1890
V
FILLES
I
Bonne simple fille des rues 8
Combien te préféré-je aux grues 8
Qui nous encombrent le trottoir 8
De leur traîne, mon décrottoir, 8
5 Poseuses et bêtes poupées 8
Rien que de chiffons occupées 8
Ou de courses et de paris 8
Fléaux déchaînés sur Paris ! 8
Toi, tu m'es un vrai camarade 8
10 Qui la nuit monterait en grade 8
Et même dans les draps câlins 8
Garderait des airs masculins, 8
Amante à la bonne franquette, 8
L'amie à travers la coquette 8
15 Qu'il te faut bien être un petit 8
Pour agacer mon appétit. 8
Oui, tu possèdes des manières 8
Si farceusement garçonnières 8
Qu'on croit presque faire un péché 8
20 (Pardonné puisqu'il est caché) 8
Sinon que t'as les fesses blanches 8
De frais bras ronds et d'amples hanches 8
Et remplaces que tu n'as pas 8
Par tant d'orthodoxes appas. 8
25 T'es un copain tant t'es bonne âme, 8
Tant t'es toujours tout feu, tout flamme 8
S'il s'agit d'obliger les gens 8
Fût-ce avec tes pauvres argents 8
Jusqu'à doubler ta rude ouvrage, 8
30 Jusqu'à mettre du linge en gage ! 8
Comme nous t'as eu des malheurs, 8
Et tes larmes valent nos pleurs 8
Et tes pleurs mêlés à nos larmes 8
Ont leurs salaces et leurs charmes, 8
35 Et de cette pitié que tu 8
Nous portes sort une vertu 8
T'es un frère qu'est une dame 8
Et qu'est pour le moment ma femme… 8
Bon ! Puis dormons jusqu'à potron. 8
40 Minette, en boule et ron, ron, ron ! 8
Serre-toi que je m'acoquine 8
Le ventre au bas de ton échine 8
Mes genoux emboîtant les tiens 8
Tes pieds de gosse entre les miens. 8
45 Roule ton cul sous ta chemise 8
Mais laisse ma main que j'ai mise 8
Au chaud sous ton gentil tapis. 8
Là ! Nous voilà cois, bien tapis. 8
Ce n'est pas la paix, c'est la trêve. 8
50 Tu dors ? Oui. Pas de mauvais rêve. 8
Et je somnole en gais frissons, 8
Le nez pâmé sur tes frissons. 8
II
Et toi, tu me chausses aussi, 8
Malgré ta manière un peu rude 8
55 Qui n'est pas celle d'une prude 8
Mais d'un virago réussi. 8
Oui, tu me bottes, quoique tu 8
Gargarises dans ta voix d'homme 8
Toutes les gammes de rogomme, 8
60 Buveuse à coudes rabattus ! 8
Ma femme ! Sacré nom de Dieu ! 8
À nous faire perdre la tête 8
Nous foutre tout le reste en fête 8
Et, nom de Dieu, le sang en feu. 8
65 Ton corps dresse, sous le reps noir, 8
Sans qu'assurément tu nous triches 8
Une paire de nénés riches 8
Souples, durs, excitants, faut voir ! 8
Et moule un ventre jusqu'au bas 8
70 Entre deux friands haut-de-cuisse, 8
Qui parle de sauce et d'épice 8
Pour quel poisson de quel repas ! 8
Tes bas blancs — et je t'applaudis 8
De n'arlequiner point tes formes — 8
75 Nous font ouvrir des yeux énormes 8
Sur des mollets que rebondis ! 8
Ton visage de brune où les 8
Traces de robustes fatigues 8
Marquent clairement que tu brigues 8
80 Surtout le choc des mieux râblés, 8
Ton regard ficelle et gobeur 8
Qui sait se mouiller puis qui mouille 8
Où toute la godaille grouille 8
Sans reproche, ô non ! mais sans peur, 8
85 Toute ta figure — des pieds 8
Cambrés vers toutes les étreintes 8
Aux traits crépis, aux mèches teintes, 8
Par nos longs baisers épiés — 8
Ravigote les roquentins 8
90 Et les ci-devant jeunes hommes 8
Que voilà bientôt que nous sommes, 8
Nous électrise en vieux pantins, 8
Fait de nous de vrais bacheliers 8
Empressés auprès de ta croupe 8
95 Humant la chair comme une soupe, 8
Prêts à râler sous tes souliers ! 8
Tu nous mets bientôt à quia, 8
Mais, patiente avec nos restes, 8
Les accommode, mots et gestes, 8
100 En ragoût où de tout y a. 8
Et puis quoique mauvaise au fond, 8
Tu nous a de ces indulgences ! 8
Toi, si teigne entre les engeances, 8
Tu fais tant que les choses vont. 8
105 Tu nous gobes (ou nous le dis) 8
Non de te satisfaire, ô goule ! 8
Mais de nous tenir à la coule 8
D'au moins les trucs les plus gentils. 8
Ces devoirs nous les déchargeons, 8
110 Parce qu'au fond tu nous violes, 8
Quitte à te fiche de nos fioles 8
Avec de plus jeunes cochons. 8
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