Métrique en Ligne
VER_3/VER101
Paul VERLAINE
LA BONNE CHANSON
1870
X
Quinze longs jours encore et plus de six semaines 12
Déjà ! Certes, parmi les angoisses humaines 12
La plus dolente angoisse est celle d’être loin. 12
On s’écrit, on se dit que l’on s’aime, on a soin 12
5 D’évoquer chaque jour la voix, les yeux, le geste 12
De l’être en qui l’on met son bonheur, et l’on reste 12
Des heures à causer tout seul avec l’absent. 12
Mais tout ce que l’on pense et tout ce que l’on sent 12
Et tout ce dont on parle avec l’absent, persiste 12
10 À demeurer blafard et fidèlement triste. 12
Oh ! l’absence ! le moins clément de tous les maux ! 12
Se consoler avec des phrases et des mots, 12
Puiser dans l’infini morose des pensées 12
De quoi vous rafraîchir, espérances lassées, 12
15 Et n’en rien remonter que de fade et d’amer ! 12
Puis voici, pénétrant et froid comme le fer, 12
Plus rapide que les oiseaux et que les balles 12
Et que le vent du sud en mer et ses rafales 12
Et portant sur sa pointe aiguë un fin poison, 12
20 Voici venir, pareil aux flèches, le soupçon 12
Décoché par le Doute impur et lamentable. 12
Est-ce bien vrai ? Tandis qu’accoudé sur ma table 12
Je lis sa lettre avec des larmes dans les yeux, 12
Sa lettre, où s’étale un aveu délicieux, 12
25 N’est-elle pas alors distraite en d’autres choses ? 12
Qui sait ? Pendant qu’ici pour moi lents et moroses 12
Coulent les jours, ainsi qu’un fleuve au bord flétri, 12
Peut-être que sa lèvre innocente a souri ? 12
Peut-être qu’elle est très joyeuse et qu’elle oublie ? 12
30 Et je relis sa lettre avec mélancolie. 12
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