Métrique en Ligne
VER_20/VER9
Paul VERLAINE
PREMIERS VERS
1858-1869
DES MORTS
2 juin 1832 et avril 1834
Ô Cloître Saint-Merry funèbre ! sombres rues ! 12
Je ne foule jamais votre morne pavé 12
Sans frissonner devant les affres apparues. 12
Toujours ton mur en vain recrépit et lavé, 12
5 Ô maison Transnonain, coin maudit, angle infâme, 12
Saignera, monstrueux, dans mon cœur soulevé. 12
Quelques-uns d'entre ceux de Juillet, que le blâme 12
De leurs frères repus ne décourage point, 12
Trouvent bon de montrer la candeur de leur âme. 12
10 Alors dupes ? – Eh bien ! ils l'étaient à ce point 12
De mourir pour leur œuvre incomplète et trahie. 12
Ils moururent contents, le drapeau rouge au poing. 12
Mort grotesque d'ailleurs, car la tourbe ébahie 12
Et pâle des bourgeois, leurs vainqueurs étonnés, 12
15 Ne comprit rien du tout à leur cause haïe. 12
C'était des jeunes gens francs qui riaient au nez 12
De tout intrigant comme au nez de tout despote, 12
Et de tout compromis désillusionnés. 12
Ils ne redoutaient pas pour la France la botte 12
20 Et l'éperon d'un Czar absolu, beaucoup plus 12
Que la molette d'un monarque en redingote. 12
Ils voulaient le devoir et le droit absolus, 12
Ils voulaient « la cavale indomptée et rebelle », 12
Le soleil sans couchant, l'Océan sans reflux. 12
25 La République, ils la voulaient terrible et belle, 12
Rouge et non tricolore, et devenaient très froids 12
Quant à la liberté constitutionnelle… 12
Ils étaient peu nombreux, tout au plus deux ou trois 12
Centaines d'écoliers, ayant maîtresse et mère, 12
30 Faits hommes par la haine et le dégoût des Rois. 12
Ils savaient qu'ils allaient mourir pour leur chimère, 12
Et n'avaient pas l'espoir de vaincre, c'est pourquoi 12
Un orgueil douloureux crispait leur lèvre amère ; 12
Et c'est pourquoi leurs yeux réverbéraient la foi 12
35 Calme ironiquement des martyres stériles, 12
Quand ils tombèrent sous les balles et la loi. 12
Et tous, comme à Pharsale et comme aux Thermopyles, 12
Vendirent cher leur vie et tinrent en échec 12
Par deux fois les courroux des généraux habiles. 12
40 Aussi, quand sous le nombre ils fléchirent, avec 12
Quelle rage les bons bourgeois de la milice 12
Tuèrent les blessés indomptés à l'œil sec ! 12
Et dans le sang sacré des morts où le pied glisse, 12
Barbotèrent, sauveurs tardifs et nasillards 12
45 Du nouveau Capitole et du Roi, leur complice. 12
– Jeunes morts, qui seriez aujourd'hui des vieillards, 12
Nous envions, hélas ! nous vos fils, nous la France, 12
Jusqu'au deuil qui suivit vos humbles corbillards. 12
Votre mort, en dépit des serments d'allégeance, 12
50 Fut-elle pas pleurée, admirée et plus tard 12
Vengée, et vos vengeurs sont-ils pas sans vengeance ? 12
Ils gisent, vos vengeurs, à Montmartre, à Clamart, 12
Ou sont devenus fous au soleil de Cayenne, 12
Ou vivent affamés et pauvres, à l'écart. 12
55 Oh ! oui, nous envions la fin stoïcienne 12
De ces calmes héros, et surtout jalousons 12
Leurs yeux clos, à propos, en une époque ancienne. 12
Car leurs yeux contemplant de lointains horizons 12
Se fermèrent parmi des visions sublimes, 12
60 Vierges de lâcheté comme de trahison, 12
Et ne virent jamais, jamais, ce que nous vîmes. 12
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