ŒUVRES EN COLLABORATION |
QUI VEUT DES MERVEILLES ? |
REVUE DE L'ANNÉE 1867 |
PAR PAUL VERLAINE ET FRANÇOIS COPPÉE |
PROLOGUE
LE HANNETON DANS UN VAGUE PAYSAGE
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Précieux abonnés, aimables acheteurs |
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Au numéro, deux très spirituels auteurs |
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Vous offrent le fruit de leurs veilles, |
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S'étant promis, afin de vous voir égayés, |
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D'imiter ces fusils récemment essayés : |
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Et de faire aussi des merveilles. |
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Donc, sans ordre et donnant au diable les vieux us ; |
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Ils vont vous faire avec ces rimes de Crésus |
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Dont maint Legouvé s'exaspère, |
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Le tableau de l'an mil huit cent soixante-sept, |
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Sans marcheuses offrant la fleur de leur corset, |
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Sans trucs vieillis et sans compère. |
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Au rideau ! Voici les trois coups du régisseur. |
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Ne demandez pas des nouvelles de leur sœur |
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À leurs scènes sans buts ni suites. |
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Les auteurs sont émus ; car c'est leur premier pas, |
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Mesdames et messieurs, ne les accablez pas |
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D'un déluge de pommes cuites. |
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SCÈNE I
L'INTÉRIEUR D'UN WAGON DE TRAIN DE PLAISIR LANCÉ À TOUTE VAPEUR |
LE COMMIS-VOYAGEUR, |
à un père de famille. |
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Vous venez à Paris pour voir le Champ-de-Mars ? |
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LE PÈRE DE FAMILLE |
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… De Condé-sur-Noireau, Monsieur. |
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LE COMMIS-VOYAGEUR |
20 |
… De Condé-sur-Noireau, Monsieur. Les cauchemars |
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Causés par les courriers que signe Biéville |
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Sont moins affreux que les dangers de la grand'ville, |
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— Le saviez-vous ? |
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LE PÈRE DE FAMILLE |
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— Le saviez-vous ? Mon bon monsieur, éclairez-nous. |
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Regardez. Ma famille embrasse vos genoux. |
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LE COMMIS-VOYAGEUR |
25 |
Homme des champs ! il faut tout d'abord que je sache |
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Quels roubles, quels louis, quels écus à la vache, |
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Quel ventre de cagnotte ancienne, quel trésor |
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D'émigré qui dans sa paillasse mit son or, |
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Quels dollars d'Amérique et quels doublons d'Espagne, |
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30 |
Vous avez pris avant de vous mettre en campagne ? |
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LE PÈRE DE FAMILLE |
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Nous avons cinq cents francs pour quatre. |
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LE COMMIS-VOYAGEUR |
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Nous avons cinq cents francs pour quatre. Homme des champs, |
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Votre famille et vous, vous êtes très touchants, |
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Et, rien qu'en prévoyant votre sort, je sanglote. |
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Universel, cosmopolite et polyglotte, |
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35 |
Paris est maintenant un nouveau paradis |
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Où se paye un louis la botte de radis. |
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Votre gousset, chez les gargotiers où l'on dîne, |
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Sera nettoyé dès la première sardine. |
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Quant aux chambres d'hôtel, on ne peut y songer |
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40 |
Qu'en s'ornant le patron d'un ruban étranger. |
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Les nouveaux omnibus prennent trois francs la course, |
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Honte ! et les strapontins sont cotés à la Bourse, |
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Croyez-moi. Retournez vers les bords plus cléments |
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Du Noireau. |
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LE PÈRE DE FAMILLE |
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Du Noireau. Renoncer aux embellissements |
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45 |
De Paris, aux splendeurs des époques modernes ! |
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Nous mendierons la soupe aux portes des casernes, |
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Monsieur, et nous irons coucher dans les plâtras. |
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LE PÈRE DE FAMILLE |
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Mais… Pas un mot de plus, ma femme. |
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(La locomotive qui saute.) |
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Mais… Pas un mot de plus, ma femme. Patatras !!! |
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Accident de chemin de fer. — Horribles détails. |
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QUELQUES VOYAGEURS EN COMPOTE |
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— Mon pied ! — Mon cubitus ! — Mon oreille ! — Mon né ! |
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— Ma cuisse ! — Mon tendon d'Achille ! |
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LE PÈRE DE FAMILLE |
50 |
— Ma cuisse ! — Mon tendon d'Achille ! Heureux qui, né |
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Dans un humble hameau n'en quitte point l'asile ! |
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UNE JEUNE PERSONNE |
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Ah ! maman ! J'ai mal à la… |
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LA MAMAN |
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Ah ! maman ! J'ai mal à la… Taisez-vous, Lucile ! |
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La fumée des wagons incendiés voile cette scène d'horreur et le machiniste du Hanneton profite de la circonstance pour changer le décor. |
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SCÈNE II
Une petite dame poursuit un fiacre et supplie le cocher qui fouette ses chevaux en sifflant l'air : Comme des perles, les étoiles …
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LA PETITE DAME |
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Cocher, cocher, cocher ! |
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LE COCHER |
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Cocher, cocher, cocher ! Mon œil ! |
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LA PETITE DAME |
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Cocher, cocher, cocher ! Mon œil ! Joli cocher, |
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Cent sous pour vous ! |
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LE COCHER |
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Cent sous pour vous ! Du flanc ! |
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LA PETITE DAME |
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Cent sous pour vous ! Du flanc ! Ne peut-on vous toucher ? |
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N'avez-vous pas de cœur ? |
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LE COCHER, |
très spirituel. |
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N'avez-vous pas de cœur ? Non. J'ai la quinte à trèfles. |
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LA PETITE DAME |
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Puisque je ne vais pas au Champ-de-Mars ! |
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LE COCHER |
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Puisque je ne vais pas au Champ-de-Mars ! Des nèfles ! |
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LA PETITE DAME |
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Cocher ! gros chien chéri ! vers toi je tends les bras, |
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Et je te donnerai tout ce que tu voudras. |
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Arrête ! gracieux cocher ! — Pas de réponse ! |
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60 |
Je ne serai jamais à l'heure chez Alphonse. |
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— Arrête ! et si je pus te déplaire, pardon ! |
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Hélas ! ayez pitié ! mon bel automédon ! |
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Car je suis à vos pieds. — Je ne suis qu'une femme, |
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Mais je puis te donner mon amour et mon âme ! |
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65 |
Conduis-moi seulement, et demain viens me voir |
12 |
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Chez moi, dans la journée ; et pour te recevoir, |
12 |
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Mon ami, je mettrai des peignoirs de batiste |
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Et tu seras traité, vois-tu, comme un artiste. |
12 |
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Aujourd'hui, conduis-moi, j'ai beaucoup de chemin |
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70 |
À faire. Conduis-moi : tu m'aimeras demain. |
12 |
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LE COCHER, |
descendu de son siège. |
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Allons ! Je le veux bien ! Mais puisque tu m'adores, |
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Montons dans le sapin ; j'en vais baisser les stores. |
12 |
À cette mise en demeure, la petite dame tombe inanimée sur le macadam. — Changement de décor. |
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SCÈNE III
LA NACELLE DU BALLON CAPTIF DE L'EXPOSITION |
PREMIER PRUDHOMME |
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Ah ! que l'homme est petit alors qu'on le contemple |
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De si haut ! |
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SECOND PRUDHOMME |
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De si haut ! Et lui-même est-il petit, ce temple |
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75 |
Qui sert de rendez-vous à mainte nation ! |
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Ici le câble du ballon se casse. L'aérostat disparaît dans les airs. Il faudrait Henri Monnier pour dépeindre l'effroi des deux Prudhommes ci-dessus : c'est pourquoi nous y renonçons, bien qu'avec peine. |
Le décor change. |
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SCÈNE IV
L'EXPOSITION PROPREMENT DITE |
UN ANGLAIS |
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Aoh ! yes, je venais voir l'Exhibition |
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Et je voulais savoir comment on s'y comporte |
12 |
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Pour n'être pas flanqué dans le sein de la porte. |
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GAVROCHE |
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Si ce n'est que cela qui vous gêne, je puis |
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80 |
Dire à la Vérité de sortir de son puits. |
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Il déclame sur un rythme de Ronsard : |
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Cherchons d'abord un mètre, |
6 |
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Pour dire, ô Gazomètre, |
6 |
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L'étonnante splendeur |
6 |
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De ta hideur. |
4 |
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Où trouver des fanfares |
6 |
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Pour vanter tes deux phares |
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Éclairant sur les quais |
6 |
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Les tourniquets. |
4 |
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Quels fifres, quels trombones |
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90 |
Diront combien sont bonnes |
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Les œuvres d'art en zinc |
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Du groupe cinq, |
4 |
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Et combien est utile |
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À l'humain projectile |
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L'inodore décent |
6 |
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Du groupe cent ? |
4 |
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Il continuerait probablement très longtemps sur ce ton ultra-lyrique, si l'Anglais, moins curieux de la poésie française que des choses pratiques, ne l'interrompait à la quatrième strophe pour lui dire : |
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Je n'aimais pas du tout ce bizarre façonne |
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D'exprimer vous ; parlez un langage plus bonne, |
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Et dites-moi d'abord ce que c'étaient que ces |
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100 |
Créatioures, et comme on les nomme en français. |
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GAVROCHE |
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Biches, à votre choix, mylord, crevettes, grues, |
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Trumeaux, cocottes ou cocodettes. Les rues |
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Savent leur âge et les omnibus ont avec |
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Elles plus d'un rapport. — Total : cent sous. — Prix sec. |
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L'ANGLAIS, |
rougissant. |
(Se ravisant :) |
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Aoh ! shoking ! — |
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105 |
Aoh ! shoking ! — Je voulais rigoler avec cette |
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Petite cocodette ou cocotte ou crevette. |
12 |
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Ou grue ou biche qui porte des suivez-moi
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12 |
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Jeune homme si longs. |
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Gavroche lui fait dans le tuyau de l'oreille des révélations énormes, touchant la personne en question. |
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L'ANGLAIS, |
ponceau. |
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Jeune homme si longs. Aoh ! alors je tiens moi coi ! |
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Gavroche qui tient à placer son rythme de Ronsard, profite de la surprise douloureuse de l'insulaire pour s'écrier : |
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Mais Sallot nous réclame, |
6 |
110 |
Qui d'un revers de lame |
6 |
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Guérit les maux de dents |
6 |
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Les plus ardents. |
4 |
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Vers les lieux qu'il habite |
6 |
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Vole et se précipite |
6 |
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Un amas furieux |
6 |
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De curieux, |
4 |
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Dont l'Anglican profite, |
6 |
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Glissant au néophyte |
6 |
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Doucement dans la main |
6 |
120 |
Son parchemin !… |
4 |
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Un peu soulagé, Gavroche s'arrête et regarde le fils d'Albion qui paraît en proie à d'étranges pensers. Il jette autour de lui des regards anxieux, son corps, par une expressive pantomime, a bientôt révélé à l'esprit subtil de Gavroche ses inexprimables besoins. |
GAVROCHE |
|
Ma vieille ! j'ai compris — là-bas, sous la verdure, |
12 |
|
Sont deux dames dont l'une est jeune et l'autre mûre ; |
12 |
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Gardiennes d'un noir dépôt, qui voudront bien, |
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Moyennant des égards nombreux, ô mon gros chien, |
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125 |
Et deux ou trois louis t'ouvrir de sombres portes |
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Et t'offrir du papier couleur des feuilles mortes. |
12 |
|
Et quant aux appareils, je déclare immortels |
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Leurs inventeurs, car ils sont merveilleux, et tels — |
12 |
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Je ne t'en ferai pas plus longtemps un mystère — |
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130 |
Qu'ils n'en ont pas, qu'ils n'en ont pas dans l'Angleterre ! |
12 |
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L'Anglais file vers les lieux désignés. Gavroche va ouvrir quelques portières. — Le décor change. |
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SCÈNE V
AU THÉÂTRE FRANÇAIS. — LA PREMIÈRE D' « HERNANI » |
TOUS LES SPECTATEURS, MOINS UN |
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Bravo ! bravo ! bravo ! bravo ! bravo ! bravo ! |
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UN VIEUX REFROIDI, |
(qui voudrait bien tirer sa clef de sa poche, mais n'ose, de crainte qu'on ne la lui fasse avaler.) |
|
De mon temps on faisait des fables. — Ce nouveau |
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|
Public n'a pas le sens délicat. — Monsieur Luce |
12 |
|
De Lancival, le seul poète que je lusse |
12 |
135 |
Et que lussent les gens doctes d'alors, était |
12 |
|
Un fier esprit que son époque reflétait. |
12 |
|
Belle époque ! L'abbé Delille, un romantique |
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|
Pourtant déjà, tenait la grande lyre antique |
12 |
|
Et Parny célébrait les belles et les ris ! |
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140 |
Le bon goût régentait la province et Paris ; |
12 |
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L'Odéon jouait ma Suite à la Thébaïde |
12 |
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De Racine !… ô le temps passé ! — |
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|
DELAUNAY, |
sur la scène. |
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De Racine !… ô le temps passé ! — Vieillard stupide ! |
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|
Le décor change. |
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SCÈNE VI
CHEZ MADEMOISELLE HORTENSIA, ACTRICE DE GENRE CÉLÈBRE |
Un très riche appartement : portraits d'hommes aux types aussi accentués que dissemblables, en costumes éclatants ; deux immenses cornes de bœuf, dorées du reste, se dressent des deux côtés de la cheminée qui fait face au spectateur — symboles d'hymens successivement nombreux en même temps que préservatifs efficaces contre quelque jettatura ambiante : sur une table de marqueterie est entr'ouvert un coffret plein de bijoux. |
JUDAS GUGENHEIM, |
revendeur, continuant une conversation commencée. |
|
Pas un maravédis de plus, en vérité ! |
12 |
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HORTENSIA, |
somptueux déshabillé. |
|
Pourtant… |
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|
GUGENHEIM, |
sordide. |
|
Pourtant… Pas un de plus, j'ai dit. |
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|
HORTENSIA |
|
Pourtant… Pas un de plus, j'ai dit. Quel entêté |
|
|
Vous faites ! Des bijoux exotiques… |
|
|
GUGENHEIM |
145 |
Vous faites ! Des bijoux exotiques… Quand même |
|
|
Ils seraient Kurdes, j'ai donné mon prix suprême. |
12 |
|
Oui. Non. Réfléchissez, il en est temps encor. |
12 |
(Désignant les bijoux d'un doigt méprisant.) |
|
D'ailleurs, toc, galvanoplastie et similor ! |
12 |
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HORTENSIA, |
indignée. |
|
Du toc ! — Un bracelet donné par mon monarque |
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150 |
Abyssin, mon beau nègre aimé ! — Du toc ! — La marque |
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Du contrôle est visible, et quant au diamant, |
12 |
|
S'il est faux je veux bien vous prendre pour amant |
12 |
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De cœur. — Du similor ! Veuillez moins me la faire |
12 |
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A l'oseille : un collier qui me parvint du Caire |
12 |
155 |
Un mois avant l'auguste arrivée et l'amour |
12 |
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Suave du plus fort des Turcs ! Voyez ! le jour |
12 |
|
Pénètre, allume et fait flamboyer les topazes |
12 |
|
Et métamorphose en éclairs les chrysoprases ! |
12 |
|
J'en passe, et des meilleurs. — C'est de la galvano- |
12 |
160 |
Plastie, hein ? ce camée, offre d'un Hispano- |
12 |
|
Américain qui m'a su plaire, le pauvre ange ! |
12 |
|
Et ce nœud de rubis plus vaste qu'une orange |
12 |
|
Toc, peut-être ? — Il me vient — tais-toi, mon cœur, tais-toi ! — |
12 |
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De l'Empereur Machin Quatorze, — non du Roi |
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165 |
Balandard Cinq, ce vieux si simple en sa toilette |
12 |
|
Et qui se contentait d'une pure omelette |
12 |
|
À déjeuner. — De quoi parlais-je ? — Ah bien, j'y suis. |
12 |
|
Voyons, mon cher monsieur Gugenheim, vingt louis |
12 |
|
De plus ? |
|
|
GUGENHEIM, |
brusquement. |
|
De plus ? Soit, au comptant, et vingt pour cent d'escompte. |
|
|
HORTENSIA, |
extatique. |
|
Tope-là, vieux voleur ! |
|
Gugenheim met les bijoux dans ses poches ; paye lentement et minutiemement, se fait délivrer un reçu, salue et sort. — Entre un crevé. |
|
HORTENSIA, |
minaudant. |
170 |
Tope-là, vieux voleur ! Bonjour, monsieur le comte. |
|
|
Le décor change. |
|
SCÈNE VII
À L'ACADÉMIE FRANCAISE |
LE RÉCIPIENDAIRE, |
homme jeune encore. |
|
Messieurs, si j'ose ainsi m'exprimer, la faveur |
12 |
|
Immense dont je suis… |
|
|
UNE DAME |
|
Immense dont je suis… Il a l'air d'un coiffeur ! |
|
|
LE RÉCIPIENDAIRE |
|
… L'objet de votre part m'embarrasse, mais elle |
12 |
|
N'a rien d'étonnant pour qui connaît votre zèle |
12 |
175 |
Alors qu'il faut choisir afin d'admettre dans |
12 |
|
Cette enceinte, non pas des rêveurs imprudents |
12 |
|
Qui, tout en possédant et l'esprit et le style, |
12 |
|
Sucèrent le venin que ce siècle distille, |
12 |
|
Mais au contraire des écrivains sérieux, |
12 |
180 |
Délicats, pondérés, toujours plus curieux |
12 |
|
Du suffrage… |
|
(à ses collègues) |
|
Du suffrage… … des gens de goût, |
|
(à l'auditoire) |
|
Du suffrage… … des gens de goût, des gens du monde, |
|
|
Comme il en reste peu sur la machine ronde, |
12 |
|
Si cette expression du fabuliste peut |
12 |
|
M'être permise à moi, prosateur… |
|
|
M. VIENNET |
|
M'être permise à moi, prosateur… Il m'émeut |
|
185 |
Beaucoup, et je suis très inquiet de voir comme, |
12 |
|
Sortira du pétrin le malheureux jeune homme. |
12 |
|
LE RÉCIPIENDAIRE |
|
Et messieurs, puis-je même aspirer à ce nom |
12 |
|
Pour quelque humble brochure orléaniste ? Non, |
12 |
|
Certes, et je sais bien que je suis peu de chose ; |
12 |
190 |
Mais mes intentions sont pures, et, si j'ose… |
12 |
|
Ici un de nos anciens généraux d'Afrique, endormi depuis le commencement de la séance, tombe bruyamment par terre, et cet accident suspend un moment le discours qui sera repris tout à l'heure et se terminera au milieu des applaudissements discrets de l'illustre aréopage. |
Le décor change. |
|
SCÈNE VIII
LA TERRASSE DU CAFÉ DE SUÈDE À CINQ HEURES DU SOIR |
GARÇONS DE CAFÉ, |
courant en tous sens. |
|
— Un bitter pavillon ! — Baoumm ! — Versez frontière ! |
12 |
|
— Le Hanneton ? Il est en mains. |
|
|
PREMIER ÉCHOTIER |
|
— Le Hanneton ? Il est en mains. Une portière… |
|
|
PREMIER JOUEUR DE DOMINOS |
|
As partout. |
|
|
DEUXIÈME JOUEUR DE DOMINOS |
|
As partout. As et six. |
|
|
PREMIER JOUEUR DE DOMINOS |
|
As partout. As et six. Je boude. |
|
|
DEUXIÈME JOUEUR DE DOMINOS |
|
As partout. As et six. Je boude. Double-six ! |
|
|
DEUXIÈME ÉCHOTIER |
|
Ah ! mon mot de la fin est coupé par Francis |
12 |
195 |
Magnard ; mais, pour ne pas me faire de réclame, |
12 |
|
Il a soin de ne pas citer mon nom, l'infâme |
12 |
|
Coupeur, qui n'a pas fait le Dernier Mohican. |
12 |
|
|
ALPHONSE DUCHESNE |
|
Présent ! La loi Tinguy n'est pas bonne… |
|
|
PREMIER ÉCHOTIER |
|
Présent ! La loi Tinguy n'est pas bonne… Un cancan … |
|
|
UN DÎNEUR |
|
Comment faire ce soir pour me garnir la panse ? |
12 |
|
UNE DANSEUSE, |
qui en est à sa troisième consommation. |
200 |
Hélas ! et nul crevé pour payer la dépense ! |
12 |
|
UN JEUNE HOMME, |
à un de ses amis. |
|
Colcassé se battit hier avec Vestoncourt |
12 |
|
Au premier sang pour Cou-de-Marbre… |
|
|
PREMIER ÉCHOTIER |
|
Au premier sang pour Cou-de-Marbre… Le bruit court… |
|
|
PREMIER VAUDEVILLISTE |
|
J'ai le titre : Le Gendre aux Nénuphars. La scène |
12 |
|
Est à Bondy… |
|
|
M. CLAIRVILLE |
|
Est à Bondy… Présent ! |
|
|
DEUXIÈME VAUDEVILLISTE |
|
Est à Bondy… Présent ! Oui, pas mal. C'est obscène. |
|
205 |
Parlons-en à Koning … — Et rien pour les genoux |
12 |
|
De l'orchestre ? |
|
|
PREMIER VAUDEVILLISTE |
|
De l'orchestre ? On verra… DelvaL… — La faisons-nous ? |
|
|
LE CHŒUR |
|
Tiens ! Le Guillois ! |
|
|
LE GUILLOIS |
|
Tiens ! Le Guillois ! Je fonde un journal : L'Écrevisse
|
|
|
Dans la Tourte. |
|
|
LE CHŒUR |
|
Dans la Tourte. Excellent ! |
|
|
UN HOMME DE LETTRES |
|
Dans la Tourte. Excellent ! A-t-il assez de vice ? |
|
|
LE GUILLOIS |
|
Charges par Penoutet. — C'est pour demain matin. |
12 |
|
|
LE GUILLOIS |
|
La prime ? Une noisette à surprise. |
|
|
PREMIER ÉCHOTIER |
210 |
La prime ? Une noisette à surprise. Un potin… |
|
|
Le décor change. |
|
SCÈNE IX
À L'ARÈNE ATHLÉTIQUE |
LE RÉGISSEUR, |
annonçant. |
|
Monsieur Polyte, dit la Colonne impollue
|
12 |
|
Contre Larfaillou, l'homme à l'aisselle velue.
|
12 |
|
Les deux lutteurs s'empoignent. |
UNE DAME SERIEUSE |
|
Ce torse me rappelle un homme que j'aimais, |
12 |
|
Ce torse tatoué d'un tendre emblème ! — Mais, |
12 |
215 |
Si forts qu'ils soient tous deux, j'en sais un qui les tombe. |
12 |
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UN NAÏF |
|
Tiens, ce caleçon porte écrit : Gare la bombe !
|
12 |
|
Les lutteurs redoublent d'efforts. |
UNE DAME MOINS SÉRIEUSE QUE LA PRÉCÉDENTE |
|
S'ils portaient aussi bien que Dumaine le frac, |
12 |
|
Ce serait un bonheur inexprimable… |
|
|
UN CALEÇON, |
se déchirant. |
|
Ce serait un bonheur inexprimable… Crac !!! |
|
|
La toile tombe avec un louable à-propos. |
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SCÈNE X
L'ANTRE D'UN CRITIQUE |
M. Francisque Sarcey, vêtu de pantoufles et d'un coin de feu et assis devant un harmonium Alexandre et Cie, laisse errer ses doigts sur cet instrument et improvise l'élégie suivante : |
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Puisque dans le théâtre |
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Le plus français |
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Got n'est plus idolâtre |
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Du Dieu succès, |
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Qu'il va jouer le drame |
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À l'Ambigu, |
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Ce qui cause à mon âme |
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Un mal aigu ; |
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Puisque, malgré son zèle |
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Et ses appas, |
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La pauvre demoiselle |
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Royer n'est pas |
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Assez portée aux nues |
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Tous les lundis, |
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Puisque des femmes nues, |
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Que je maudis, |
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Au sein du Ministère |
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Vont bafouer |
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Cette sociétaire |
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Qu'il faut louer ; |
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Puisque Augier s'exile, |
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Puisque Hernani, |
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Ce bandit imbécile, |
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N'a pas fini |
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De souffler, pitre obscène, |
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Dans son vieux cor |
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Sur la première scène |
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Qui soit encor ; |
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Puisque l'Alsace ingrate |
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N'a pas porté |
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About, ce démocrate, |
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Pour député, |
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Semblable aux fleurs vermeilles |
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Qu'on voit pâlir, |
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Je vais dans mes oreilles |
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M'ensevelir ! |
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Il s'y ensevelit en effet. |
Le décor change. |
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SCÈNE XI
L'ADMINISTRATION DU CHEMIN DE FER DE MÉRY-SUR-OISE |
Le bureau des convois à la gare. — Un employé en casquette galonnée de larmes et de sabliers d'argent cause avec un monsieur en grand deuil. |
L'EMPLOYÉ, |
faisant l'article. |
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Nous avons pour conduire aux sépultures neuves |
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Un grand choix de wagons : — violets pour les veuves |
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ui suivent leurs maris — et blancs pour ceux qu'abat |
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La mégère Atropos pendant le célibat ; |
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— Puis, entre nous, car il se peut qu'on en médise, |
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Pour les pauvres, nos vieux haquets de marchandise. |
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Mais chez nous il n'est pas une chose qu'on n'ait |
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En payant bien ; et s'il s'agit d'un gros bonnet |
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Et qui sera suivi par d'illustres ganaches, |
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Nous avons des wagons superbes, à panaches, |
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Commodes, ventilés et ne manquant de rien, |
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Avec des boules d'eau chaude, où l'on est fort bien |
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Quand on veut jouir des beautés du paysage. |
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— Voici les règlements et les tarifs d'usage. |
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Voyez ; il sera fait selon votre désir. |
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LE MONSIEUR |
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Veuf d'aujourd'hui… |
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L'EMPLOYÉ, |
obséquieux. |
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Veuf d'aujourd'hui… Monsieur veut un train de plaisir ? |
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Le décor change. |
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ÉPILOGUE
Le Paris de 1868 dans une apothéose à l'éclairage
électrique. — Boulevards immenses et rayonnant
en tous sens. — Casernes superbes. — Arbres
emmaillotés à faux cols de zinc. — Innombrables
établissements de photographie.
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LES SERGENTS DE VILLE |
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De l'ordre gardiens taciturnes |
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Non moins que des chaises Tronchons, |
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Dans le sein du bloc nous fichons |
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Les tapageurs nocturnes. |
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LES FINANCIERS |
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Aux lieux qu'il faut qu'on sous-entende |
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Notre papier fait ce qu'il sied |
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Tandis que nous levons le pied |
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Avec le dividende. |
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LES PETITS CREVÉS ET LES PETITES CREVETTES |
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Nos vestons courts jusques aux nuques |
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Nous donnent un galbe parfait, |
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Et nos chignons font leur effet |
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Même sur les eunuques. |
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LES BOULEVARDIERS |
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Forts de notre mission sainte, |
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Nous sommes amis de Carjat, |
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Et Pelloquet plus que l'orgeat |
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Trempe dans notre absinthe. |
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LES AISSAOUAS |
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Les tas d'ordures, les sentines |
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N'ont rien qui nous puisse écœurer, |
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Mais nous ne saurions digérer, |
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Ô Veuillot, tes tartines. |
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TOUS |
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Hanneton, vole, vole, vole, |
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Et va dans un rapide élan |
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Souhaiter bonjour et bon an |
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Au lecteur bénévole. |
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Le hanneton obtempérant prend son essor et envoie
des baisers à droite et à gauche. — Feux de
Bengale. — La toile tombe.
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