Métrique en Ligne
VER_2/VER73
Paul VERLAINE
FÊTES GALANTES
1869
Lettre
Éloigné de vos yeux, Madame, par des soins 12
Impérieux (j’en prends tous les dieux à témoins), 12
Je languis et je meurs, comme c’est ma coutume 12
En pareil cas, et vais, le cœur plein d’amertume, 12
5 À travers des soucis où votre ombre me suit, 12
Le jour dans mes pensers, dans mes rêves la nuit, 12
Et, la nuit et le jour, adorable, Madame ! 12
Si bien qu’enfin, mon corps faisant place à mon âme, 12
Je deviendrai fantôme à mon tour aussi, moi, 12
10 Et qu’alors, et parmi le lamentable émoi 12
Des enlacements vains et des désirs sans nombre, 12
Mon ombre se fondra en jamais en votre ombre. 12
En attendant, je suis, très chère, ton valet. 12
Tout se comporte-t-il là-bas comme il te plaît, 12
15 Ta perruche, ton chat, ton chien ? La compagnie 12
Est-elle toujours belle ? et cette Silvanie 12
Dont j’eusse aimé l’œil noir si le tien n’était bleu, 12
Et qui parfois me fit des signes, palsambleu ! 12
Te sert-elle toujours de douce confidente ? 12
20 Or, Madame, un projet impatient me hante 12
De conquérir le monde et tous ses trésors pour 12
Mettre à vos pieds ce gage — indigne — d’un amour 12
Égal à toutes les flammes les plus célèbres 12
Qui des grands cœurs aient fait resplendir les ténèbres. 12
25 Cléopâtre fut moins aimée, oui, sur ma foi ! 12
Par Marc-Antoine et par César que vous par moi, 12
N’en doutez pas, Madame, et je saurai combattre 12
Comme César pour un sourire, ô Cléopâtre, 12
Et comme Antoine fuir au seul prix d’un baiser. 12
30 Sur ce, très chère, adieu. Car voilà trop causer, 12
Et le temps que l’on perd à lire une missive 12
N’aura jamais valu la peine qu’on l’écrive. 12
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