Métrique en Ligne
VER_19/VER896
Paul VERLAINE
Hombres (hommes)
1891
II
Mille et tre
Mes amants n’appartiennent pas aux classes riches : 12
Ce sont des ouvriers faubouriens ou ruraux, 12
Leurs quinze et leurs vingt ans sans apprêts sont mal chiches 12
De force assez brutale et de procédés gros. 12
5 Je les goûte en habits de travail, cotte et veste ; 12
Ils ne sentent pas l’ambre et fleurent de santé 12
Pure et simple ; leur marche un peu lourde, va preste 12
Pourtant, car jeune, et grave en l’élasticité ; 12
Leurs yeux francs et matois crépitent de malice 12
10 Cordiale et des mots naïvement rusés 12
Partent non sans un gai juron qui les épice 12
De leur bouche bien fraîche aux solides baisers ; 12
Leur pine vigoureuse et leurs fesses joyeuses 12
Réjouissent la nuit et ma queue et mon cu ; 12
15 Sous la lampe et le petit jour, leurs chairs joyeuses 12
Ressuscitent mon désir las, jamais vaincu. 12
Cuisses, âmes, mains, tout mon être pêle-mêle, 12
Mémoire, pieds, cœur, dos et l’oreille et le nez 12
Et la fressure, tout gueule une ritournelle, 12
20 Et trépigne un chahut dans leurs bras forcenés. 12
Un chahut, une ritournelle fol et folle 12
Et plutôt divins qu’infernals, plus infernals 12
Que divins, à m’y perdre, et j’y nage et j’y vole, 12
Dans leur sueur et leur haleine, dans ces bals. 12
25 Mes deux Charles l’un jeune tigre aux yeux de chattes 12
Sorte d’enfant de chœur grandissant en soudard, 12
L’autre, fier gaillard, bel effronté que n’épate 12
Que ma pente vertigineuse vers son dard. 12
Odilon, un gamin, mais monté comme un homme 12
30 Ses pieds aiment les miens épris de ses orteils 12
Mieux encor mais pas plus que de son reste en somme 12
Adorable drûment, mais ses pieds sans pareils ! 12
Caresseurs, satin frais, délicates phalanges 12
Sous les plantes, autour des chevilles, et sur 12
35 La cambrure veineuse et ces baisers étranges 12
Si doux, de quatre pieds, ayant une âme, sûr ! 12
Antoine, encor, proverbial quant à la queue, 12
Lui, mon roi triomphal et mon suprême Dieu, 12
Taraudant tout mon cœur de sa prunelle bleue 12
40 Et tout mon cul de son épouvantable épieu. 12
Paul, un athlète blond aux pectoraux superbes 12
Poitrine blanche, aux durs boutons sucés ainsi 12
Que le bon bout ; François, souple comme des gerbes 12
Ses jambes de danseur, et beau, son chibre aussi ! 12
45 Auguste qui se fait de jour en jour plus mâle 12
(Il était bien joli quand ça nous arriva) 12
Jules, un peu putain avec sa beauté pâle. 12
Henri, me va en leurs conscrits qui, las ! s’en va ; 12
Et vous tous ! à la file ou confondus en bande 12
50 Ou seuls, vision si nette des jours passés, 12
Passions du présent, futur qui croît et bande 12
Chéris sans nombre qui n’êtes jamais assez ! 12
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