Métrique en Ligne
VER_18/VER719
Paul VERLAINE
INVECTIVES
1896
V
METZ
JE déteste l’artisterie 8
Qui se moque de la Patrie 8
Et du grand vieux nom de Français, 8
Et j’abomine l’Anarchie 8
5 Voulant, front vide et main rougie, 8
Tous peuples frères — et l’orgie ! 8
Sans autre l’orme de procès. 8
Tous peuples frères ! Autant dire 8
Plus de France, même martyre, 8
10 Plus de souvenirs, même amers ! 8
Plus de la raison souveraine, 8
Plus de la foi sûre et sereine, 8
Plus d’Alsace et plus de Lorraine… 8
Autant fouetter le flot des mers. 8
15 Autant dire au lion d’Afrique : 8
Rampe et sois souple sous la trique. 8
Autant dire à l’aigle des cieux : 8
Fais ton aire dans le bocage 8
En attendant la bonne cage 8
20 Et l’esclavage et son bagage. 8
Autant braver l’ire des dieux ! 8
Et quant à l’Art, c’est une offense 8
A lui faire dès à l’avance 8
Que de le soupçonner ingrat 8
25 Envers la terre maternelle, 8
Et sa mission éternelle 8
D’enlever au vent de son aile 8
Tout ennui qui nous encombrât. 8
Il nous console et civilise, 8
30 Il s’ouvre grand comme une église 8
A tous les faits de la Cité. 8
Sa voix haute et douce et terrible 8
Nous éveille du songe horrible. 8
Il passe les esprits au crible 8
35 Et c’est la vraie égalité. 8
O Metz, mon berceau fatidique, 8
Metz, violée et plus pudique 8
Et plus pucelle que jamais ! 8
O ville où riait mon enfance, 8
40 O citadelle sans défense 8
Qu’un chef que la honte devance, 8
O mère auguste que j’aimais. 8
Du moins quelles nobles batailles, 8
Quel sang pur pour les funérailles 8
45 Non de ton honneur, Dieu merci ! 8
Mais de ta vieille indépendance, 8
Que de généreuse imprudence, 8
A ta chute quel deuil intense, 8
O Metz, clans ce pays transi ! 8
50 Or donc, il serait des poètes 8
Méconnaissant ces sombres fêtes 8
Au point d’en rire et d’en railler ! 8
Il serait des amis sincères 8
Du peuple accablé de misères 8
55 Qui devant ces ruines fières 8
Lui conseilleraient d’oublier ! 8
Metz aux campagnes magnifiques, 8
Rivière aux ondes prolifiques, 8
Coteaux boisés, vignes de feu, 8
60 Cathédrale toute en volute, 8
Où le vent chante sur la flûte, 8
Et qui lui répond par la Mute, 8
Cette grosse voix du bon Dieu ! 8
Metz, depuis l’instant exécrable 8
65 Où ce Borusse misérable 8
Sur toi planta son drapeau noir 8
Et blanc et que sinistre ? telle 8
Une épouvantable hirondelle, 8
Du moins, ah ! tu restes fidèle 8
70 A notre amour, à notre espoir ! 8
Patiente, encor, bonne ville : 8
On pense à toi. Reste tranquille. 8
On pense à toi, rien ne se perd 8
Ici des hauts pensers de gloire 8
75 Et des revanches de l’histoire 8
Et des sautes de la victoire. 8
Médite à l’ombre de Fabert. 8
Patiente, ma belle ville : 8
Nous serons mille contre mille, 8
80 Non plus un contre cent, bientôt ! 8
A l’ombre, où maint éclair se croise, 8
De Ney, dès lors âpre et narquoise, 8
Forçant la parte Serpenoise, 8
Nous ne dirons plus : ils sont trop ! 8
85 Nous chasserons l’atroce engeance 8
Et ce sera notre vengeance 8
De voir jusqu’aux petits enfants 8
Dont ils voulaient — bêtise infâme ! — 8
Nous prendre la chair avec l’âme, 8
90 Sourire alors que l’on acclame 8
Nos drapeaux enfin triomphants ! 8
O temps prochains, ô jours que compte 8
Éperdument dans cette honte 8
Où se révoltent nos fiertés, 8
95 Heures que suppute le culte 8
Qu’on te voue, ô ma Metz qu’insulte 8
Ce lourd soldat, pédant inculte, 8
Temps, jours, heures, sonnez, tintez ! 8
Mute, joins à la générale 8
100 Ton tocsin, rumeur sépulcrale, 8
Prophétise à ces lourds bandits 8
Leur déroute absolue, entière 8
Bien au-delà de la frontière, 8
Que suivra la volée altière 8
105 Des Te Deum enfin redits ! 8
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