Métrique en Ligne
VER_15/VER437
Paul VERLAINE
DÉDICACES
1890
XLVI
LE PINSON D’E***
C’EST très miraculeux : ce pinson si joli 12
Qui sautillait d’un air attentif et poli 12
Tout au bout des barreaux, prêtant sa tête fine 12
A ma bouche lui sifflant l’air de la Czarine, 12
5 Il n’est plus ! Le voici sans souffle désormais. 12
Il avait bien souffert, autant que tu l’aimais ! 12
Maussade, hélas ! et symptôme bien pire encore, 12
Immobile et muet dans la cage sonore 12
Du pépiement des autres « hôtes de nos bois » 12
10 Et vibrante Dieu sait comme de leurs émois, 12
De leurs ébats plus fous que les jeux de la houle. 12
Il s’était accroupi, se contournant en boule, 12
La tête sous son aile, ayant l’air de dormir, 12
Et ta gardais l’espoir, cessant de trop gémir, 12
15 De le croire en effet endormi… La nuit sombre 12
Vint, qui nous consola quelque peu. Mais quand l’ombre 12
Se dissipa, cédant, Soleil, à ton effort, 12
La vérité nous apparut : il était mort ! 12
Tu reculas d’horreur malgré tout ton courage 12
20 Ordinaire, et n’osais le sortir de la cage. 12
J’accomplis en ton lieu ce douloureux devoir, 12
Et toi, dépliant en silence un vieux « Chat noir », 12
Le replias sur le cadavre avec des larmes, 12
Linceul approprié, symbole non sans charmes ! 12
25 Nous débattîmes un long temps l’heure et le lieu 12
Où rendre les derniers honneurs au petit dieu. 12
Tout à coup tu pris ton panier déjà célèbre 12
Et partis sans me prévenir du lieu funèbre 12
Destiné dans ton cœur à l’enterrement dû, 12
30 Emportant en ce « char » l’oiseau, bien entendu. 12
Quand tu revins, t’avais l’air fier et plein de grâce 12
De quelqu’un ayant fait, sans bruit et sans grimace, 12
Ce qu’on peut appeler une grande action : 12
« Je l’ai jeté dans les caveaux du Panthéon ! » 12
35 T’écrias-tu, – puis, car la femme est toujours femme, 12
Et tes yeux éteignant soudain leur sombre flamme, 12
Tu repris, et cela me parut aussi beau : 12
« Il aurait peut-être mieux fait sur mon chapeau ! » 12
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