Métrique en Ligne
VER_14/VER648
Paul VERLAINE
DANS LES LIMBES
1894
XIV
C’est fait, littéralement je t’adore ! 10
On adore Dieu, créateur géant. 10
Or ne m’as-tu pas, plus divine encore, 10
Tiré de toutes pièces du néant ? 10
5 Dieu que je bénis puisqu’il est le Père 10
Du moins pour nous faire avec mieux que rien 10
Toi tu n’avais rien, mais rien pour me faire 10
Tel que me voici, ta chose et ton bien. 10
Rien, pas même du limon comme l’Autre. 10
10 Je m’étais éventé dans le Pédant 10
Plus que mort, pas né, brume qui se vautre 10
Aux fondrières d’un art décadent. 10
Fantôme perdu dans des fantaisies, 10
Fantasques, hélas ! moins encor que quoi 10
15 Que ce soit qui fût, vacantes, moisies. 10
Ah ! c’était du propre et du beau que moi ! 10
Tu parus ! Je naquis sous ta prunelle, 10
Du sang me battit, de la chair me vint, 10
Par degrés rapides une éternelle 10
20 Amour m’investit qui vivait pour vingt. 10
Amour de latrie et d’idolâtrie 10
Où s’épura mon pauvre orgueil lettré, 10
Où la vérité rude, mais chérie 10
A force de bonté m’a retiré. 10
25 Du rêve égoïste et me fait le frère, 10
Non, le cerf que tu daignes fraternel, 10
L’esclave de la volonté sévère 10
A juste titre en son vœu maternel 10
Presque, puisque tu me diriges, guides, 10
30 Protèges encontre le monde, aussi 10
Contre moi-même, ô trop, que trop rapides 10
Délices ! Conjugal, ce vœu tien ! Si 10
Que je peux dire, moi, que je t’adore, 10
Toi qui, comme le Créateur géant, 10
35 M’as, plus puissante et bien meilleure encore, 10
Tiré de toutes pièces du néant. 10
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