Métrique en Ligne
VER_13/VER619
Paul VERLAINE
ÉLÉGIES
1893
IV
Notre union plutôt véhémente et brutale 12
Recèle une douceur que nulle autre n’étale, 12
Nos caractères détestables à l’envi 12
Sont un champ de bataille où tout choc est suivi 12
5 D’une trêve d’autant meilleure que plus brève. 12
Le lourd songe oppressif s’y dissout en un rêve 12
Élastique et rafraîchissant à l’infini. 12
Je croirais pour ma part qu’un ange m’a béni 12
Que des Cieux indulgents chargeraient de ma joie, 12
10 En ces moments de calme où ses ailes de soie 12
Abritent la caresse enfin que je te dois. 12
Et toi, n’est-ce pas, tu sens de même ; ta voix 12
Me le dit, et ton œil me le montre, ou si j’erre 12
Plaisamment ? Et la vie alors m’est si légère 12
15 Que j’en oublie, avec les choses de tantôt, 12
Tout l’ancien passé, son naufrage et son flot 12
Battant la grève encore et la couvrant d’épaves. 12
Et toi, n’est-ce pas, tu sens de même ces graves 12
Moments de nonchaloirs voluptueux, où c’est 12
20 Qu’un mensonge plus vrai que du vrai me berçait ? 12
Comme un air de pardon flotte comme un arome 12
Sur le cœur affranchi du poids de tel fantôme, 12
Et ô l’incube et le succube du présent, 12
C’est toi, c’est moi dans le bon spasme renaissant 12
25 Après les froids contacts de deux âmes froissées. 12
Vite, vite, accourez, nos plus tendres pensées, 12
Nos maux les plus naïfs, nos mieux luisants regards. 12
Plus de manières ni de tics, plus d’airs hagards. 12
Que d’armistice en armistice, une paix franche 12
30 Éternise ce nid d’oiseaux bleus sur la branche. 12
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