Métrique en Ligne
VEN_1/VEN122
Henri VENDEL
Chants du couvre-feu
1945
POÈMES DE L'EXIL
NORMANNIA DEVAITATA
A Mme Lucie DELARUE-MADRUS.
Terre dont j'aimais jusqu'aux touffes d'herbe, 10
toi qui m'as offert la vie et le lait, 10
mère de Flaubert, Corneille et Malherbe, 10
quel fléau de feu te bat comme blé ? 10
5 Les siècles brodaient de claire dentelle 10
les coiffes à jour de tes hauts clochers. 10
Tes calmes cités s'endormaient, rebelles 10
à remémorer de lointains bûchers. 10
Tu berçais la paix; sur ta gorge grasse, 10
10 tes plages aimaient le jeu des baigneuses 10
et ta chair en fleur n'était jamais lasse 10
de nourrir la joie d'une foule heureuse. 10
Ah quel poing barbare a frappé ton front 10
et taché de sang plaines et collines 10
15 Tu fanais naguère en cette saison, 10
tes bœufs se couchaient sous la haie d'épines 10
et le même calme était en leur yeux 10
qu'aux songes rusés de tes paysans. 10
Entre fleuve et mer tu buvais les cieux, 10
20 plus jeune toujours du baiser des ans. 10
Quelle faux de mort maintenant te fauche ? 10
Tes murs tombent dru comme l'herbe au pré, 10
ton peuple s'enfuit de droite et de gauche. 10
Qui, dans ce chaos, te reconnaîtrait ? 10
25 Nous n'avons pas su te défendre, mère. 10
Nous avons perdu le bel héritage 10
qu'avec tant d'amour nos pères laissèrent. 10
Tes cloches fondues par le feu sauvage, 10
tes cloches en nous sonneront leurs glas. 10
30 Nos âmes en deuil sont comme des claies 10
où la guerre traîne un funèbre amas 10
d'arbres, de manoirs, de morts et de plaies. 10
Ah ! qui nous rendra l'élan des Vikings 10
et des bâtisseurs de voûtes sacrées 10
35 pour aller, vaillants, même en tes ruines, 10
comme va l'abeille en tes pommeraies ! 10
logo du CRISCO logo de l'université