A SA MAJESTÉ GUILLAUME |
Roi de Prusse, Empereur d'Allemagne |
A PROPOS DU BOMBARDEMENT |
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De tes iniquités, si nombreuses pourtant, |
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La liste, à ton avis, ne saurait être close ; |
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Non, tout cela n'est rien, et tu n'es pas content, |
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Tu prétends à ta gloire ajouter quelque chose. |
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Pendant l'obscurité tu bombardes Paris, |
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De malheureux enfants, des femmes sans défense |
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Tombent sous les obus, tandis que toi, tu ris |
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Sans voir combien pour toi la haine marche en France. |
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C'est en lettres de sang que l'histoire inscrira, |
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Guillaume, tes hauts faits au livre des batailles, |
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Et devant ces récits l'Univers frémira |
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Indigné, révolté, jusque dans ses entrailles. |
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Quel esprit infernal te souffle tant d'orgueil |
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Et te pousse à plaisir dans de folles conquêtes ; |
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Si la France est en pleurs, l'Allemagne est en deuil, |
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Si Paris souffre, hélas ! Berlin est-il en fêtes ? |
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Tu veux être un César, tu seras un Néron, |
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Et l'empereur romain sortirait de sa tombe |
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Que devant toi, peut-être, il courberait le front !… |
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Mais songe aussi comment un despote succombe. |
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Au milieu des vapeurs d'un trop prodigue encens, |
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Guillaume, crains de voir se dresser la justice ! |
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Redoute de sa voix les éclats menaçants, |
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Roi, prends garde son bras, qu'il ne l'anéantisse. |
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Soixante-treize hivers ont blanchi tes cheveux. |
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Soixante-treize hivers ont ridé ton visage, |
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Et tu peux contempler le tableau douloureux |
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De mères, d'orphelins victimes de ta rage. |
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Ne crains-tu pas, dis-moi, sanglante majesté, |
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En vidant à longs traits ta coupe de Bohème, |
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Ne crains-tu pas, dis-moi, pour la réalité, |
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D'avoir pris aujourd'hui, la chimère elle-même. |
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Un jour, tu verras clair, mais il sera trop tard, |
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Si des illusions le bandeau se détache, |
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Devant notre drapeau ; devant notre étendard, |
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Alors, il te faudra rabaisser ta moustache. |
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On ne nous forge pas des entraves en vain, |
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Tu te moques du flot, mais le flot peut t'atteindre, |
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Il grossit en silence, et cet horrible bain |
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Du sang de tes soldats, s'il venait à se teindre ? |
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Un tigre, sais-tu bien, est moins cruel que toi ? |
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Qui donc, à pareil prix, t'envîrait ta couronne |
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Et se revêtirait de ton manteau de roi ? |
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Non, non, pour l'accepter il n'existe personne. |
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Il est si beau pourtant de régner par la paix, |
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D'être un monarque aimé, de répandre la joie, |
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De faire autant d'heureux que l'on a de sujets… |
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Mais en toi Dieu n'a mis qu'un cœur d'oiseau de proie ! |
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Paris, 10 janvier 1871.
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