PARIS BRÛLÉ |
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A quelle triste époque en sommes-nous hélas ! |
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Et quel gouffre profond s'est ouvert sous nos pas ! |
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N'était-ce pas assez d'une première lutte |
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Où la France, râlant, tombait de chute en chute ? |
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Fallait-il entre nous mettre le désaccord |
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Et de nos propres mains aggraver notre sort ? |
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Fallait-il, en un mot, pauvres tous que nous sommes, |
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Au rang des animaux descendre, nous, des hommes, |
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Des frères, des amis, destinés à s'aimer, |
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A se tendre les bras, non à se décimer. |
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Oh ! la guerre civile ! abominable chose ! |
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Vrai présent de Satan, que de maux elle cause ! |
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Que, d'effroi, de tourments elle jette en nos cœurs ! |
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Que de sang répandu, de victimes, de pleurs ! |
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Qu'a-t-on fait de Paris, de la ville merveille |
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Qui dans tout l'univers n'avait pas sa pareille ? |
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Que sont-il devenus tous ces beaux monuments |
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Qui de la capitale étaient les ornements ? |
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Une aveugle fureur, une indicible rage |
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Ont fait passer sur eux le niveau du ravage ? |
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Un terrible fléau, le feu, les a détruits, |
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Abîmés, renversés en moins de quelques nuits ! |
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Regardez, les voilà ! qu'en reste-t-il ? la place, |
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Où d'un doux souvenir on cherche en vain la trace ! |
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On n'a rien respecté ! Partout de noirs débris, |
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Des décombres fumants, voilà, voilà Paris, |
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Paris, temple des arts, entre de la science |
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Paris, fils du Progrès et de l'intelligence ! |
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Au milieu des obus qui sifflaient en passant, |
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Nous avons vu le ciel s'empourprant, s'embrasant ! |
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Sur dix points à la fois s'allumait l'incendie ! |
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Sur dix points à la fois, l'horrible tragédie |
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Déroulait ses tableaux qui faisaient frissonner ! |
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Un pendant de Moscou qu'on voulait nous donner ! |
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Nous avons vu monter ces rouges banderolles, |
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Des funestes combats affreuses girandoles, |
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Broyant dans leurs baisers et le marbre et le fer ! |
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On aurait pu se croire au milieu de l'enfer. |
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Nous avons vu jaillir des bouquets d'étincelles |
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Entraînant des torrents de fumée avec elles ! |
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Nous ayons entendu les murailles craquer |
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Sous l'effort de la flamme et puis se disloquer ! |
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Nous avons entendu crouler les édifices |
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Et nous avons gémi sur tant de sacrifices ! |
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Nous avons entendu des cris de désespoir, |
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Des appels déchirants qu'on ne peut concevoir ! |
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Les foyers sont éteints, la cendre est refroidie !… |
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Mais la misère est là, derrière l'incendie ! |
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Il fallait, au matin, voir ces infortunés |
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Contempler l'œil hagard, leurs logis ruinés ! |
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C'était tout leur amour, leur bonheur, leur richesse, |
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Le fruit de leurs labeurs, l'appui de leur vieillesse ! |
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C'est à nous, que le ciel a sauvés du danger |
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Qu'il convient aujourd'hui d'aider, de protéger |
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Ceux qui n'ont plus d'abri pour reposer leur tête ! |
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Réparons les dégâts produits par la tempête ! |
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A force de courage, à force de vigueur |
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Il faut rendre à Paris son antique splendeur. |
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Paris doit, en dépit des revers, des désastres, |
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Briller comme un soleil au premier rang des astres. |
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Paris est immortel ; il doit, phénix nouveau, |
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Renaître de sa cendre, et plus grand et plus beau. |
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Paris, 5 juin 1871.
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