UN CŒUR RECONNAISSANT |
OU |
MASSACRE D’UNE AMBULANCE PAR LES PRUSSIENS |
Monsieur le médecin-major Morin a reçu
deux coups de crosse de fusil sur la tête ;
un officier lui a tiré un coup de revolver
et les lâches l’ont tué à coups de baïonnette.
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Signé : Le lieutenant.colonel,
commandant la 3e légion des gardes nationaux
mobilisés de Saône-et-Loire
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I |
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L’astre-roi ne luit plus ; les mystérieux voiles |
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De la nuit sont tombés, d’innombrables étoiles |
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Brillent au firmament : c’est un beau soir d’été. |
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L’éther est radieux, mais l’air est empesté. |
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Les pampres des coteaux, les fleurs de la vallée, |
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Ont vu, durant deux jours, une affreuse mêlée. |
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De cadavres gaulois, de cadavres germains, |
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Les collines, les champs, les vignes, les chemins, |
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Sont jonchés. Les chevaux à la folie humaine |
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Ont payé leur tribut dans la sanglante arène : |
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Au milieu des débris, parmi les corps hachés |
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De leurs maîtres, ils sont par rangs nombreux couchés. |
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Sous un arbre étendu, un noble de la garde |
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Du despote Guillaume avec soupçon regarde |
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Un médecin français qui lui sonde le bras : |
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« Je vois, dit le docteur, que vous ne m’aimez pas. |
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Avec acharnement vous combattez la France ; |
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C’est douloureux pour moi, mais ayez confiance |
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Sinon en mon talent, en mon habilité, |
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Du moins en mon bon cœur, en on humanité.» |
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Et, généreusement, l’homme de l’art pratique |
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Envers son ennemi le précepte biblique, |
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Précepte que suivra toujours un vrai chrétien : |
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« A celui qui te hait pardonne et fais du bien. » |
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Le pansement fini, le docteur se retire, |
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Laissant près du blessé deux anges au sourire |
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Tout immatériel, deux anges de bonté, |
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Anges de dévoûment, deux sœurs de charité. |
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II |
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Cinq mois se sont passés depuis cette journée, |
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Cinq mois témoins encor d’une lutte acharnée. |
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La jeune République a prouvé sa valeur, |
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Mais de l’aigle prussien n’a pu percer le cœur. |
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Quelques détachements de la garde mobile, |
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Avec des francs-tireurs, occupent Hauteville. |
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Dans le village règne un silence de mort. |
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Le soldat, fatigué, d’un sommeil profond dort. |
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Soudain, un son perçant retentit dans la plaine : |
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C’est le clairon guerrier d’une horde germaine. |
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Les Français réveillés se lèvent aussitôt, |
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Et de leur ennemi vont repousser l’assaut. |
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Trois fois les Allemands reviennent à la charge, |
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Et trois fois les Français les chassent du village, |
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Mais les envahisseurs, mieux armés, plus nombreux, |
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Au quatrième assaut restent victorieux. |
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« Vive le roi Guillaume ! et périsse la France ! » |
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Beuglent-ils en passant le seuil d’une ambulance. |
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Ces soldats veulent-ils devenir assassins ? |
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Maltraiter des blessés ? tuer des médecins ? |
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Vont-ils donc se couvrir d’une honte éternelle ? |
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Oui ! Dans ce lieu sacré le sang déjà ruisselle. |
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Ils frappent, les héros, ils vont frapper encor, |
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Quand, à demi vêtu, le médecin-major |
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Apparaît devant eux. Frémissant, il leur crie : |
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« Cessez, lâches, cessez ! c’est une boucherie ! |
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Ne connaissez-vous pas ce brassard rouge et blanc ? » |
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Pour réponse, un soldat lui transperce le flanc. |
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Un jeune officier dit : « Feu sur cette canaille ! |
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— Un moment ! arrêtez ! Le soir d’une bataille, |
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Je vous trouvai blessé, je fus votre sauveur, |
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Et vous m’assassinez ! murmure le docteur. |
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— Je fais ce que je dois. Ah ! douce est la vengeance ! |
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Réplique l’officier. Mais, en reconnaissance |
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De vos excellents soins, cher citoyen, je veux |
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A vos maux mettre fin. Soldats, ouvrez les feux ! » |
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En de si purs héros l’Allemagne est féconde, |
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On ne le sait que trop ; néanmoins elle fonde |
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Sa future grandeur et sa prospérité |
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Sur eux, les défenseurs de la brutalité. |
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