L’HÉROÏNE DE STRASBOURG |
Woe to the conqueror !
Our limbs shall lie as cold as theirs
Of whom his sword berets us,
Ere we forget the deep arrears
Of vengeance they have left us !
Woe to the conqueror !
|
MOORE.
|
|
I |
|
Après une barbare, exécrable victoire, |
12 |
|
Que la postérité proclamera sans gloire, |
12 |
|
Les soldats allemands par bataillons nombreux |
12 |
|
Pénétraient dans Strasbourg, insolents, radieux. |
12 |
5 |
Les airs guerriers, joyeux, des marches triomphales |
12 |
|
Se mêlaient aux sanglots, aux pleurs, aux cris, aux râles |
12 |
|
Des valeureux vaincus, qui de l’antiquité |
12 |
|
Venaient de surpasser le courage exalté. |
12 |
|
Soudain, semblant sortir du royaume des ombres, |
12 |
10 |
Une femme paraît debout sur des décombres. |
12 |
|
Elle est maigre, elle est pâle, et pourtant son œil bleu, |
12 |
|
Brillant d’un vif éclat, lance un rayon de feu. |
12 |
|
De dessous les haillons qui la couvrent à peine, |
12 |
|
Sans trembler, elle tire un poignard, le dégaîne, |
12 |
15 |
S’élance dans la rue en s’écriant : « Je veux |
12 |
|
Faire aussi mon devoir, au moins en tuer deux ! » |
12 |
|
|
II |
|
Dans un salon d’hôtel, sablant du pur champagne, |
12 |
|
Un général badois encense l’Allemagne ; |
12 |
|
Trois colonels prussiens avec du cru du Rhin |
12 |
20 |
Boivent à la santé de leur vieux souverain. |
12 |
|
Ces fiers représentants du pouvoir militaire — |
12 |
|
On en pourrait douter — sont en conseil de guerre |
12 |
|
Assemblés, pour juger un traitre ? un déserteur ? |
12 |
|
Non ! une patriote au mâle et noble cœur. |
12 |
25 |
Un gigantesque uhlan introduit la coupable, |
12 |
|
Que le vaillant Badois, d’une voix formidable |
12 |
|
Apostrophe en ces mots : « Vous avez, sans effroi, |
12 |
|
Commis un attentat sur des soldats du roi, |
12 |
|
Vous méritez la mort ! Cependant une chance |
12 |
30 |
Vous est offerte encor : prenez votre défense ; |
12 |
|
Mais je vous avertis qu’il vous est défendu |
12 |
|
D’oublier un instant le respect qui m’est dû. » |
12 |
|
|
III |
|
« Monsieur le général, j’avais un heureux père, |
12 |
|
Deux innocentes sœurs, une pieuse mère, |
12 |
35 |
Que j’aimais tendrement. Ma famille, en retour, |
12 |
|
Me prodiguait les soins du plus fervent amour. |
12 |
|
D’être aimé de quelqu’un qu’on estime, qu’on aime, |
12 |
|
Du bonheur n’est-ce pas la volupté suprême ? |
12 |
|
Bref, nous étions heureux. Tout à coup, une nuit, |
12 |
40 |
La terre est ébranlée, un effroyable bruit |
12 |
|
Remplit l’air. Des lueurs passent dans le ciel sombre : |
12 |
|
Des bombes, des boulets et des obus sans nombre |
12 |
|
Pleuvent de tous côtés. Le lendemain, hélas ! |
12 |
|
J’appelle mes parents, ils ne répondent pas. |
12 |
45 |
Des femmes, des enfants, des septuagénaires, |
12 |
|
Gisent mourants ou morts sous des monceaux de pierres, |
12 |
|
Et cette œuvre est la vôtre, ô cruels Allemands ! |
12 |
|
Œuvre non des soldats, mais plutôt de brigands ! » |
12 |
|
A ces mots le Badois, tout frémissant de rage, |
12 |
50 |
Va droit à l’accusé et la frappe au visage. |
12 |
|
L’Alsacienne, alors, de ce lâche bourreau |
12 |
|
Se venge lui lançant le mot de Waterloo. |
12 |
|
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
|
Le soir du même jour voyait la fin du drame : |
12 |
|
Six grenadiers prussiens fusillaient une femme, |
12 |
55 |
Qui, tombant, leur criait : « Vous n’avez pu, vainqueurs, |
12 |
|
Ni nous déshonorer, ni subjuguer nos cœurs ! » |
12 |
|
|