Métrique en Ligne
VCL_1/VCL2
corpus Pamela Puntel
Henri VALLON-COLLEY
LA PRUSSIADE
OU
LES HAUTS FAITS DE GUILLAUME Ier
ET DE SES ALLIES EN FRANCE 1870-1871
1870-71
Douze poëmes par un Suisse
1871
LE FRANC-TIREUR ET SA MÈRE
Si vous continuez à prendre et égorger les francs-tireurs
prisonniers, j’userai de représailles.
GARIBALDI.
D’un infernal concert les notes infernales 12
Sur la terre française arrivent par rafales : 12
Ce sont des bataillons de poëtes, d’auteurs ; 12
Des régiments entiers de savants, de docteurs 12
5 Du pays de Luther, faisant savoir au monde 12
Que chaque franc-tireur est un reptile immonde, 12
Un être hors la loi, qu’il faut absolument, 12
S’il est fait prisonnier, pendre instantanément. 12
Mieux vaut ne pas chanter, mieux vaut ne pas écrire, 12
10 Que de tirer, hélas ! de tels sons d’une lyre. 12
Penseurs germains, celui qui défend son pays 12
Doit être respecté, même des ennemis. 12
I
« Non, ne viens pas plus loin, mon excellente mère : 12
Bientôt il fera nuit, regagne ta chaumière. 12
15 Avant la fin de l’an, j’en ai le doux espoir, 12
Lorsque j’aurai rempli le plus sacré devoir, 12
Quand j’aurai combattu pour notre chère France, 12
Je reviendrai m’asseoir aux lieu de mon enfance ; 12
Gaîment je reprendrai mes travaux d’autrefois, 12
20 Et nous serons alors plus heureux que des rois. » 12
La mère, en pleurs, répond : « C’est en vain que je chasse 12
Un noir pressentiment ! Viens, viens, que je t’embrasse 12
Longtemps, mon cher enfant, car aujourd’hui je crois 12
T’embrasser et te voir pour la dernière fois ! » 12
25 Bien long est le baiser ! oh ! bien longue est l’étreinte ! 12
Déjà dans le vallon la cloche du soir tinte, 12
Et le bon fils, aussi, qui s’est mis à pleurer, 12
De sa mère, à son tour, ne peut se séparer. 12
Pourtant le franc tireur sait que l’instant suprême 12
30 Est arrivé : faisant un effort sur lui-même, 12
Il se sauve en disant : « Invoque pour moi Dieu, 12
Dis-lui de me garder, ma bonne mère. Adieu ! » 12
II
Un sombre soir d’hiver, assise au coin de l’âtre, 12
D’où s’échappait, mourante, une flamme bleuâtre, 12
35 L’honnête paysanne à son garçon absent 12
Pensait, lorsque soudain un coup retentissant 12
Au volet est frappé. « Qui donc peut de la sorte 12
Heurter ? » marmotte-t-elle en entr’ouvrant la porte. 12
« Madame, excusez-moi si je vous ai fait peur, 12
40 Dit le nouveau venu. Je suis un franc-tireur. 12
Non pas à nombre égal, mais un contre quarante, 12
Au village voisin, jusqu’à la nuit tombante, 12
Nous nous sommes battus. Je suis blessé, j’ai froid : 12
Puis-je me reposer un peu sous votre toit ? 12
45 — Entrez, mon brave, entrez, ce vieux chaume vit naître 12
Un franc-tireur aussi, mon garçon, que peut-être 12
Déjà vous connaissez. — Comment l’appelle-t-on ? » 12
La vieille, avec orgueil, dit un rustique nom. 12
« Eh bien, alors, sachez que vous êtes la mère 12
50 De mon meilleur ami. Vous pouvez être fière 12
D’avoir un tel enfant. Pour ses exploits nombreux 12
Il a reçu la croix : c’est un héros, un preux. 12
— Où l’avez-vous laissé ? Pourquoi ne pas vous suivre ? 12
Est-il mort ? Oh ! sans lui je ne pourrais pas vivre. 12
55 — Calmez-vous, benne femme ; il vit, j’en suis certain, 12
Et puisqu’il est si près, vous le verrez demain. 12
—Je le verrai demain, dites-vous. A cette heure 12
Peut-Être expire-t-il non loin de sa demeure, 12
Dans quelqu’endroit connu de moi seule et de lui. 12
60 Ah ! j’aurais bien aimé le revoir aujourd’hui ! » 12
III
Le jour s’est levé pur, mais le froid est intense ; 12
Sur le chemin neigeux, la campagnarde avance 12
D’un pas rapide et sûr, malgré ses soixante ans. 12
Au village elle va : l’atteindra-t-elle à temps ? 12
65 Elle ne connaît pas, la malheureuse mère, 12
Le soldat allemand : simple, bonne, elle espère, 12
S’il est fait prisonnier, pouvoir tirer son fils 12
Avec facilité des mains des ennemis. 12
Elle vient d’arriver à l’endroit où la route 12
70 Entre dans la forêt ; anxieuse, elle écoute 12
Un bruit sourd, prolongé, qui de la profondeur 12
Du bois semble sortir et prédire un malheur. 12
Quelque cent pas plus loin, l’impérieux qui vive 12
D’un soldat retentit. Plutôt morte que vive, 12
75 Comme clouée au sol, la vieille ne dit rien. 12
Aussitôt le soldat se comporte en Prussien. 12
« En avant ! en avant ! Allons, marche, sorcière, » 12
Dit-il en ricanant, et vers une clairière 12
Où sans gens sont campés, cet être sans pitié 12
80 La pousse avec sa crosse, et quelquefois du pied. 12
Lorsque la paysanne, éperdue, effarée, 12
Avec son conducteur au camp fait son entrée, 12
Les officiers germains la criblent de lazzis 12
Qui, pour des gens bien nés, hélas ! sont peu choisis. 12
85 Mais avant, par hasard, levé sa tête blanche, 12
Ses yeux voilés de pleurs sur la plus haute branche 12
D’un centenaire pin se fixent un instant. 12
« Oh ! que vois-je, grand Dieu ! c’est lui, c’est mon enfant ! 12
Dit-elle. Il est pendu ! lui qui m’a tant aimée ! » 12
90 Elle prononce un nom et tombe inanimée. 12
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Esclaves de leurs rois, ce jour-là les Germains 12
En n’en pendant que trois se montrèrent humains. 12
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