|
L’on boit, l’on rit, l’on chante et l’on parle allemand |
12 |
|
Dans la vieille cité du roi Louis le Grand. |
12 |
|
Chez les particuliers, dans chaque hôtellerie, |
12 |
|
Les comtes, les barons de la grande patrie, |
12 |
5 |
Qui tous sont généraux, mais rien de plus, hélas ! |
12 |
|
Exaltent à l’envi leurs barbares soldats. |
12 |
|
Ah ! de se réjouir il en vaut bien la peine : |
12 |
|
Des milliers de Français sont couchés dans la plaine ; |
12 |
|
Nombreux sont les blessés, immense est le butin |
12 |
10 |
Fait après le combat par les gens d’outre-Rhin. |
12 |
|
Les flammes dans les airs forment d’affreux méandres, |
12 |
|
Des villes ne sont plus que des monceaux de cendres ; |
12 |
|
Du côté du couchant, à l’est, au sud, au nord, |
12 |
|
Partout le désespoir, la misère, la mort. |
12 |
15 |
Ce soir-là, vers minuit, allant en Allemagne, |
12 |
|
Un train de prisonniers traverse la Champagne. |
12 |
|
Dans un but infernal, ouverts sont les wagons ; |
12 |
|
Un vent glacial souffle, il neige à gros flocons. |
12 |
|
Par un lâche ennemi, par des gens implacables, |
12 |
20 |
D’héroïques vaincus commis des misérables, |
12 |
|
Comme des criminels sont traités. C’est affreux |
12 |
|
D’entendre de douleur hurler ces malheureux. |
12 |
|
Quelques-uns sont gelés ; plusieurs dans le délire, |
12 |
|
Insultant les Prussiens, se prennent d’un fou rire ; |
12 |
25 |
D’autres enfin, qui vont s’endormir pour toujours, |
12 |
|
Font de touchants adieux aux auteurs de leurs jours. |
12 |
|
Près d’un grand bourg lorrain, au lever de l’aurore, |
12 |
|
S’arrête le convoi. Là, e Teuton encore |
12 |
|
Se montre tel qu’il est, dans toute sa laideur : |
12 |
30 |
Inhumain par plaisir, méchant, petit, sans cœur. |
12 |
|
Autour des prisonniers, comme une mer en houle, |
12 |
|
Ondule menaçante une anxieuse foule : |
12 |
|
Ce sont des paysans, d’honnêtes campagnards, |
12 |
|
Des épouses, des sœurs, des mères, des vieillards, |
12 |
35 |
Accourus dans l’espoir de reconnaître un frère, |
12 |
|
Un époux, un ami, quelque personne chère ; |
12 |
|
De pouvoir, par un mot parti du fond du cœur, |
12 |
|
D’un héros malheureux soulager la douleur |
12 |
|
Hélas ! les Allemands forment une barrière |
12 |
40 |
Impossible à franchir. Les mots : « Arrière, arrière ! » |
12 |
|
Retentissent partout. « Oh ! nous mourons de faim ! |
12 |
|
Laissez-les s’approcher, ils apportent du pain, » |
12 |
|
Dit un vieux caporal au lieutenant de garde, |
12 |
|
Jeune homme de vingt ans. Mais celui-ci regarde |
12 |
45 |
De travers le troupier, tire un petit flacon |
12 |
|
De sa poche, le vide, en disant : « C’est du bon ! » |
12 |
|
A travers les Prussiens un soldat pourtant passe, |
12 |
|
Il tombe dans les bras d’une femme, l’enlace, |
12 |
|
Et ne peut prononcer que ces seuls mots : « Ma sœur ! » |
12 |
50 |
Un instant tous les deux retrouvent le bonheur. |
12 |
|
Mais cet instant est court : cent barbares accourent |
12 |
|
Et de leurs cent fusils aussitôt les entourent. |
12 |
|
Le frère, alors, des bras de sa sœur arraché, |
12 |
|
Est par un officier lâchement cravaché. |
12 |
55 |
Lorsque le train, après une halte d’une heure, |
12 |
|
Se met en mouvement, toute la foule pleure, |
12 |
|
Les prisonniers aussi. Quant aux Germains, hélas ! |
12 |
|
Ils font retentir l’air de leurs nombreux hourras. |
12 |