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Près d’un fourneau de fer, sur un vieux banc de chêne, |
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Le prêtre s’est assis. Une lampe avec peine |
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Entoure un crucifix d’une faible clarté ; |
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Tous les autres objets sont dans l’obscurité. |
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La femme a commencé de raconter l’histoire |
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De ses derniers malheurs. « Oui, vous pouvez me croire, |
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Mon père, c’est ici qu’ils se dirent adieu. |
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Ah ! c’était un garçon comme l’on en voit peu ! |
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Marguerite, ma fille, était sa bien-aimée ; |
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Il voulait l’épouser au sortir de l’armée. |
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Soudain la guerre éclate ; il part, le cœur serré. |
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Depuis ce moment-là nous avons bien pleuré. |
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Après un mois de lutte, hélas ! peu favorable, |
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Arrive de Sedan le jour épouvantable. |
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Ça fait frémir ! Enfin, mon fils des Allemands |
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Se trouve prisonnier, mais ne l’est pas longtemps. |
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Avec quelques amis, sur les bords de la Loire |
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Il va combattre encor et se couvre de gloire. |
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Il échappe aux boulets. Mais le facteur, un soir, |
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Sonne à ma fille un pli portant un cachet noir. |
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Elle l’ouvre en tremblant, lit, puis se précipite |
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Dans me bras en disant : « O mère, partons vite, |
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« Ne perdons pas de temps. Mon brave fiancé |
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« Est près de Montbéliard, grièvement blessé. » |
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Ah ! bien coupables sont les auteurs d’une guerre |
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Avez-vous jamais vu l’hôpital militaire, |
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Bon monsieur le curé ? Là, les pauvres soldats |
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Dans d’atroces douleurs attendent le trépas. |
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Ceux qu’épargne la mort retournent au village, |
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C’est vrai, mais peuvent-ils reprendre leur ouvrage ? |
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Lorsqu’on est impotent l’on ne peut pas bêcher ; |
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Avec un déni-bras comment pouvoir faucher ? |
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Ma fille trouve donc, assis sur de la paille, |
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Son valeureux promis. Un éclat de mitraille |
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L’a privé des deux mains. Touchant est le revoir. |
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Mais pour moi, cependant, il est pénible à voir. |
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Je pense et ne dis rien. Elle pleure, soupire. |
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Lui, pour la consoler, s’efforce de sourire. |
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Tout à coup un docteur s’arrête devant nous : |
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« Ah ! dit-il au blessé, cous êtes aimé, vous ! |
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« Ici plus d’un guerrier a quitté cette vie |
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« Sans avoir près de lui quelque personne amie, |
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« Sans avoir entendu, sortant du fond du cœur, |
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« Au moment de la mort, un mot consolateur.» |
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S’adressant à ma fille : « Armez-vous de courage. |
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« Ce soir vous reprendrez le chemin du village. |
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« S’il a deux mains de moins vous avez son amour : |
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« Cela doit vous suffire. Adieu ! Heureux retour ! » |
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Au milieu de la nuit, le train, un train immense, |
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Plein de soldats blessés, s’arrête. Alors commence |
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Un massacre inouï. Du coté des wagons |
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Les artilleurs prussiens ont braqué leurs canons. |
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Parmi ces pauvres gens les projectiles tombent. |
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En voulant se sauver, plusieurs d’entre eux succombent. |
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Il fait noir. D’un obus la sinistre lueur |
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Éclaire par instants cette scène d’horreur. |
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Marguerite, d’un saut, hors du wagon s’élance ; |
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Elle veut m’entrainer, mais je perds connaissance. |
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Le lendemain matin, sur la neige, et glacés, |
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Je retrouve les corps des pauvres fiancés. |
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