Métrique en Ligne
VAL_2/VAL41
Paul VALÉRY
CHARMES
1922
Palme
à Jeannie.
De sa grâce redoutable 7
Voilant à peine l’éclat, 7
Un ange met sur ma table 7
Le pain tendre, le lait plat ; 7
5 Il me fait de la paupière 7
Le signe d’une prière 7
Qui parle à ma vision : 7
— Calme, calme, reste calme ! 7
Connais le poids d’une palme 7
10 Portant sa profusion ! 7
Pour autant qu’elle se plie 7
À l’abondance des biens, 7
Sa figure est accomplie, 7
Ses fruits lourds sont ses liens. 7
15 Admire comme elle vibre, 7
Et comme une lente fibre 7
Qui divise le moment, 7
Départage sans mystère 7
L’attirance de la terre 7
20 Et le poids du firmament ! 7
Ce bel arbitre mobile 7
Entre l’ombre et le soleil, 7
Simule d’une sibylle 7
La sagesse et le sommeil. 7
25 Autour d’une même place 7
L’ample palme ne se lasse 7
Des appels ni des adieux… 7
Qu’elle est noble, qu’elle est tendre ! 7
Qu’elle est digne de s’attendre 7
30 À la seule main des dieux ! 7
L’or léger qu’elle murmure 7
Sonne au simple doigt de l’air, 7
Et d’une soyeuse armure 7
Charge l’âme du désert. 7
35 Une voix impérissable 7
Qu’elle rend au vent de sable 7
Qui l’arrose de ses grains, 7
À soi-même sert d’oracle, 7
Et se flatte du miracle 7
40 Que se chantent les chagrins. 7
Cependant qu’elle s’ignore 7
Entre le sable et le ciel, 7
Chaque jour qui luit encore 7
Lui compose un peu de miel. 7
45 Sa douceur est mesurée 7
Par la divine durée 7
Qui ne compte pas les jours, 7
Mais bien qui les dissimule 7
Dans un suc où s’accumule 7
50 Tout l’arôme des amours. 7
Parfois si l’on désespère, 7
Si l’adorable rigueur 7
Malgré tes larmes n’opère 7
Que sous ombre de langueur, 7
55 N’accuse pas d’être avare 7
Une Sage qui prépare 7
Tant d’or et d’autorité : 7
Par la sève solennelle 7
Une espérance éternelle 7
60 Monte à la maturité ! 7
Ces jours qui te semblent vides 7
Et perdus pour l’univers 7
Ont des racines avides 7
Qui travaillent les déserts. 7
65 La substance chevelue 7
Par les ténèbres élue 7
Ne peut s’arrêter jamais 7
Jusqu’aux entrailles du monde, 7
De poursuivre l’eau profonde 7
70 Que demandent les sommets. 7
Patience, patience, 7
Patience dans l’azur ! 7
Chaque atome de silence 7
Est la chance d’un fruit mûr ! 7
75 Viendra l’heureuse surprise : 7
Une colombe, la brise, 7
L’ébranlement le plus doux, 7
Une femme qui s’appuie, 7
Feront tomber cette pluie 7
80 Où l’on se jette à genoux ! 7
Qu’un peuple à présent s’écroule, 7
Palme !… irrésistiblement ! 7
Dans la poudre qu’il se roule 7
Sur les fruits du firmament ! 7
85 Tu n’as pas perdu ces heures 7
Si légère tu demeures 7
Après ces beaux abandons ; 7
Pareille à celui qui pense 7
Et dont l’âme se dépense 7
90 À s’accroître de ses dons ! 7
logo du CRISCO logo de l'université