Métrique en Ligne
VAL_2/VAL23
Paul VALÉRY
CHARMES
1922
Cantiques des colonnes
à Léon-Paul Fargue.
Douces colonnes, aux 6
Chapeaux garnis de jour, 6
Ornés de vrais oiseaux 6
Qui marchent sur le tour, 6
5 Douces colonnes, ô 6
L’orchestre de fuseaux ! 6
Chacun immole son 6
Silence à l’unisson. 6
— Que portez-vous si haut, 6
10 Égales radieuses ? 6
— Au désir sans défaut 6
Nos grâces studieuses ! 6
Nous chantons à la fois 6
Que nous portons les cieux ! 6
15 Ô seule et sage voix 6
Qui chantes pour les yeux ! 6
Vois quels hymnes candides ! 6
Quelle sonorité 6
Nos éléments limpides 6
20 Tirent de la clarté ! 6
Si froides et dorées 6
Nous fûmes de nos lits 6
Par le ciseau tirées, 6
Pour devenir ces lys ! 6
25 De nos lits de cristal 6
Nous fûmes éveillées, 6
Des griffes de métal 6
Nous ont appareillées. 6
Pour affronter la lune, 6
30 La lune et le soleil, 6
On nous polit chacune 6
Comme ongle de l’orteil ! 6
Servantes sans genoux, 6
Sourires sans figures, 6
35 La belle devant nous 6
Se sent les jambes pures. 6
Pieusement pareilles, 6
Le nez sous le bandeau 6
Et nos riches oreilles 6
40 Sourdes au blanc fardeau, 6
Un temple sur les yeux 6
Noirs pour l’éternité, 6
Nous allons sans les dieux 6
À la divinité ! 6
45 Nos antiques jeunesses, 6
Chair mate et belles ombres, 6
Sont fières des finesses 6
Qui naissent par les nombres ! 6
Filles des nombres d’or, 6
50 Fortes des lois du ciel, 6
Sur nous tombe et s’endort 6
Un dieu couleur de miel. 6
Il dort content, le Jour, 6
Que chaque jour offrons 6
55 Sur la table d’amour 6
Étale sur nos fronts. 6
Incorruptibles sœurs, 6
Mi-brûlantes, mi-fraîches, 6
Nous prîmes pour danseurs 6
60 Brises et feuilles sèches, 6
Et les siècles par dix, 6
Et les peuples passés, 6
C’est un profond jadis, 6
Jadis jamais assez ! 6
65 Sous nos mêmes amours 6
Plus lourdes que le monde 6
Nous traversons les jours 6
Comme une pierre l’onde ! 6
Nous marchons dans le temps 6
70 Et nos corps éclatants 6
Ont des pas ineffables 6
Qui marquent dans les fables… 6
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