Métrique en Ligne
TRA_1/TRA70
Gabriel TRARIEUX
CONFITEOR
1891
LES VESTALES
PAROLE DU CHRIST
« Celui qui ne prend pas sa croix et qui ne me
« suit pas n'est pas digne de moi. »
(St Matth. X V. 38.)
A GEORGES BOUTELLEAU.
A l'heure rayonnante et chaude de midi 12
Où la pierre, au soleil, s'allume et resplendit, 12
Sous l'azur, que tachaient les aigles, à des lieues, 12
Le temple de David, tout baigné d'ombres bleues, 12
5 Rêvait, plein du silence auguste des lieux saints. 12
Par groupes, sur le sol, tranquilles pélerins, 12
Douze Juifs étendus dormaient, prunelles closes. 12
Dans l'assoupissement des êtres et des choses, 12
Seul, debout, adossé contre un vaste pilier, 12
10 Un homme, jeune, ayant la robe d'ouvrier, 12
Semblait, au feu brûlant sous ses longues paupières, 12
Abîmé dans un songe, ou peut-être en prières… 12
Longtemps, de son regard il sonda l'Inconnu, 12
Sans paraître savoir qu'à pas légers venu 12
15 Un autre homme, – qu'au port de sa démarche lente, 12
Au lin riche et neigeux de sa robe éclatante, 12
On devinait un Grec, ‒ à l'écart l'attendit. 12
Or, s'inclinant très bas, cet homme enfin lui dit : 12
« O toi qui sais le miel des paroles sereines, 12
20 « Jeune Maître, salut ! Je suis un Grec d'Athènes, 12
« Et, si tu lis vraiment dans les cœurs, tu peux voir 12
« Que mon âme eut toujours faim et soif de savoir. 12
« Jadis, sous le Portique et dans l'Académie, 12
« J'ai suivi les leçons des rhéteurs qu'on envie, 12
25 « Plats bouffons, insulteurs d'eux-mêmes et de tout ; 12
« Mais j'en sortis bientôt, plein d'un triste dégoût. 12
« Depuis, sur le mystère obsédant du grand livre 12
« Penché, j'ai vécu seul, cherchant l'art de bien vivre. 12
« Démocrite, Épicure, Aristote, Zénon, 12
30 « Grands hommes, dont peut-être ignores-tu le nom, 12
« De leurs enseignements éclairant ma pensée, 12
« Ont aidé puissamment la marcheuse lassée. 12
« Par eux, le jour a lui dans mes yeux plus ouverts ; 12
« D'un plus ferme regard j'ai sondé l'Univers 12
35 « Et pénétré son âme ; et ma vie, à mesure, 12
« S'est faite toujours plus harmonieuse et pure. 12
« Aujourd'hui, l'on me croit vertueux et savant ; 12
« Je suis riche, et pourtant je suis aimé ; souvent 12
« Plus d'une voix émue a dit sur mon passage 12
40 « En invoquant pour moi quelque dieu : « C'est un sage ! » 12
« Et, s'il est des heureux, je devrais être heureux ! 12
« Mais tant de nuit encor fait le Sort ténébreux, 12
« J'ai, montant pas à pas vers les choses divines, 12
« Pour un seul fruit cueilli, saigné de tant d'épines, 12
45 « Qu'un désir, vague encor, gît dans mon cœur meurtri, 12
« Dont, plus fort chaque jour, j'entends gémir le cri. 12
« J'étais hanté déjà par cette obscure idée 12
« Quand, – par hasard, – je vins au pays de Judée. 12
« Tu m'apparus alors, ô Maître, sous les cieux, 12
50 « Et l'obsédant éclair qui brûle dans tes yeux 12
« A fait qu'où vont tes pas bénis je t'accompagne. 12
« Or, hier, t'écoutant parler sur la Montagne, 12
« Comme je contemplais ton front, d'aurore ceint, 12
« Un grand frisson d'amour a déchiré mon sein. 12
55 « J'ai contemplé mes jours, et pleuré ma démence, 12
« Car j'ai senti que tous cachaient un vide immense, 12
« Et j'ai pensé : « Je veux le combler dès demain ! » 12
« Mais que me manque-t-il, et quel est mon chemin ? 12
« J'ai beau sonder mon cœur, je le vois noble et juste : 12
60 « Quel est donc ce regret d'un destin plus auguste ? 12
« Maître, réponds un mot, un mot seul, et j'y crois !.. » 12
« Ami, lui dit Jésus, il te manque une Croix. » 12
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