Métrique en Ligne
TRA_1/TRA62
Gabriel TRARIEUX
CONFITEOR
1891
LES VESTALES
A JACQUES T.
Mon Frère, être lointain, dont l'ombre rose et blonde 12
Sur la route des jours n'a fait qu'un ou deux pas, 12
Vision fugitive apparue ici-bas 12
Un instant, et sitôt envolée hors du Monde, 12
5 A peine ai-je eu le temps de me prendre à t'aimer ; 12
Et ta forme aujourd'hui, dans la brume épaissie, 12
Me sourit, douce encor, mais las ! bien obscurcie… 12
Si prompte fut ton Âme éclose à se fermer. 12
Aux moments de détresse où s'assombrit la Vie 12
10 Sans raison, comme un ciel de juin perd sa clarté, 12
Quand le cœur défaillant sent mourir sa gaîté 12
Et grandir le sanglot d'une indicible envie, 12
Je songe à toi qui ne peux plus songer à nous, 12
Et je goûte un plaisir voluptueux et rare, 12
15 A travers l’infini muet qui nous sépare, 12
A te parler tout bas, comme on prie, à genoux… 12
Le Monde fulgurant, merveilleux et difforme 12
Tout juste se levait, clarté vague, en tes yeux, 12
Quand tu t'en es allé vers la candeur des cieux, 12
20 N'ayant fait qu'entrevoir encor le Sphinx énorme. 12
Tu n'auras pas connu l'ivresse de sentir 12
La caresse des sons, des couleurs émouvantes, 12
Et l'arôme, si cher au cœur, des fleurs vivantes 12
Qu'on y voudrait parfois son Être anéantir…. 12
25 Heureux ! Trois fois heureux pourtant ! Heureux encore, 12
O Toi qui n'auras pas agonisé non plus 12
Sous les affres sans nom des désirs superflus 12
Dont la fièvre, sans vous épuiser, vous dévore ! 12
Oh ! le combat mortel du soc et du sillon ! 12
30 Oh ! l'angoisse du Grain, si hasardeux, qu'on sème 12
Sans savoir si l'épi croîtra, sans savoir même 12
Si le ciel lui fera l'aumône d'un rayon ! 12
Et, sur nos fronts, la Nuit, la Nuit illimitée, 12
La grande nuit du Sort, où se perd le regard, 12
35 Où l'on marche à tâtons, vacillant et hagard, 12
En écoutant crouler l'ouvre folle tentée !… 12
Ces choses, certains jours, vous surprennent si las 12
Que l'on s'arrête, avec l'étonnement de vivre ; 12
Comme un Vin tout puissant le Néant vous enivre : 12
40 Frère, c'est dans ces jours que je te tends les bras ! 12
Et le regret grandit en moi, navrant et lâche, 12
De ne pouvoir dormir dans la paix où tu dors…. 12
Velléité trompeuse, illusoire Remords, 12
Puisque je sais trop bien que je ferai ma tâche ! 12
45 Et que, jour après jour, malgré moi, jusqu'au bout, 12
Je filerai le lin de mes heures amères, 12
Et qu'à travers les pleurs des Faiseurs de Chimères 12
Se poursuit le miracle éternel du grand Tout… 12
Je me résigne donc… Une douceur me reste 12
50 De la communion de mon âme avec Toi… 12
Mais quand viendra le jour de repos et de foi 12
Qui fondra ma tristesse à son aube céleste ?.. 12
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