Métrique en Ligne
TRA_1/TRA1
Gabriel TRARIEUX
CONFITEOR
1891
CONFITEOR
CONFITEOR
« Licht ! Mehr Licht !… »
(GŒTHE.)
J'ai dit à Dieu : « Mon Dieu ! je me confesse à Toi. 12
« Devant ton équité, plein de honte et d'effroi, 12
« J'ai résolu, Seigneur, de répandre mon âme, 12
« Car, je le reconnais, je ne suis qu'un infâme : 12
5 « Je suis l’Amant malade et vaincu de la Chair ; 12
« Toute grâce me dompte, et tout rayon m'est cher ; 12
« L'enchantement des sons et des formes me lie 12
« De liens si nombreux et si forts, que j'oublie 12
« Tout, et parfois Toi-même, ô Dieu ! pour la beauté ! 12
10 « La nuit dans sa douceur, le jour dans sa clarté, 12
« Le ciel, cette candeur, la mer, cette agonie, 12
« J'aime tout de la Vie éclatante, infinie !… 12
« Et cependant, un trouble en mon âme grandit. 12
« J'ai crié vers tes Saints, mais tes Saints m'ont maudit, 12
15 « Et m'ont répondu tous : « Arrière, Âme damnée ! » 12
« Sans doute je n'ai pas compris ma destinée, 12
« Puisqu'ignorant le crime et la haine ici-bas 12
« Je suis triste à mourir, – oh ! si triste, et si las ! 12
« Mais en vain j'ai voulu changer mon être, et suivre 12
20 « L'inexorable loi de ceux qui savent vivre : 12
« Toujours dans ma poitrine a cru l'amour du Beau, 12
« Comme une fleur qui fend le granit d’un tombeau ! 12
« Elle existe pourtant, l'extase haute et pure 12
« Dont l'invincible faim poursuit ta créature ! 12
25 « Des Hommes l'ont connue, un jour, et ce bonheur, 12
« Ce lot suprême, il est mon droit, comme le leur !… 12
« Mais seul, et lâche ainsi, je n'y saurais atteindre : 12
« Daigne donc, ô mon Dieu, me secourir, et ceindre 12
« Mes reins de ta sagesse et de ta volonté, 12
30 « Pour que je goûte enfin le Pain de volupté ! » 12
Et Dieu m'a dit : « Mon fils, le chant de tes paroles 12
« M'est agréable et doux, mais tes craintes sont folles, 12
« Car les chemins sont bons où tes pieds ont marché. 12
« C'est Moi que ton désir ignorant a cherché 12
35 « Dans la gaîté des airs, dans le charme des roses 12
« Et le rayonnement ineffable des choses. 12
« Dans les égarements mêmes de ton émoi 12
« Tu me cherchais encore, et tu suivais ma loi. 12
« Car la splendeur du Monde et la gloire des Formes, 12
40 « C'est Moi ! C'est Moi qui suis le murmure des ormes, 12
« Et la tiédeur des vents, et la fraîcheur des prés ; 12
« Je suis le flamboîment des couchants empourprés, 12
« Et l'aurore et la nuit, ces deux sœurs éternelles, 12
« Sont la joie et le deuil de mes larges prunelles ! 12
45 « Je suis la voix confuse et poignante des flots. 12
« Le calme des déserts sans bornes, les sanglots 12
« Des Hivers, dans l'horreur raidis, les épouvantes 12
« Des ouragans hurleurs dans les forêts vivantes, 12
« C'est Moi !… La foudre et l'Arc-en-ciel, c'est toujours Moi ! 12
50 « Et je suis la douceur, comme je suis l'effroi : 12
« Je suis l'éclair humide et vif des lèvres roses, 12
« La caresse des yeux, et la langueur des poses, 12
« Et la blancheur sereine et câline des mains… 12
« Le silence des Morts, les délires humains, 12
55 « Tout ce qui germe, brille et s'efface, sans trêve, 12
« Les couleurs, les parfums, les saveurs sont mon rêve : 12
« En lui tout naît et meurt, tout fermente à la fois… 12
« L'Univers musical et vibrant est ma voix !… 12
« – Sans plus t'inquiéter du bruit vain des lois vaines 12
60 « Dont la houle assourdit les cervelles humaines, 12
« Rends l'ivresse à tes yeux, le calme à ton esprit, 12
« O mon Fils ! et va boire au fleuve qui nourrit ! 12
« Retourne, humble et pensif, vers la grande Nature : 12
« Tu sentiras bientôt s'y guérir ta torture, 12
65 « Et n'en garderas plus que le fécond levain 12
« Par qui l'homme s'efforce à se rendre divin, 12
« Jusqu'au jour où, dans mon infinie allégresse, 12
« Désormais sans limite, et par là sans tristesse, 12
« Tu connaîtras la paix que réclame ton vœu. » 12
70 Et depuis ce temps-là je m'en vais, louant Dieu. 12
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