Métrique en Ligne
TAI_2/TAI46
Laurent TAILHADE
Vitraux
1891
Prospero's Island
L'âme des fleurs lente et subtile 8
S'exhale sous la lune pâle, 8
Dans le parc bleuâtre où rutile 8
La rosée en gouttes d'opale. 8
5 Sur l'eau des vasques séculaires, 8
Les nénufars semblent des jonques 8
Où la Willis, par les nuits claires, 8
Chante au soupir voilé des conques ; 8
Au temps où la Fée amoureuse 8
10 S'en vient en la nappe dormante 8
Baigner ses flancs de tubéreuse 8
À travers les bouquets de menthe. 8
C'est le jardin des songes mièvres 8
Assoupis au vol des phalènes ; 8
15 C'est le jardin où, sur les lèvres, 8
Passe comme un frisson d'haleines. 8
Et quand les harpes du silence 8
Ont mis d'accord tous leurs murmures, 8
Immatérielle, s'élance 8
20 Une voix d'or, sous les ramures. 8
Aveux d'amours inavouées, 8
Lamento des Lyres, paresses 8
Des chevelures dénouées ; 8
Torpeur divine des caresses ; 8
25 La voix, la voix d'or qui s'élève 8
Suscite, ainsi qu'un Zodiaque, 8
Sur le décor fané du rêve 8
L'image paradisiaque. 8
Dans le bleu des tonnelles rases, 8
30 Pelouses qu'ennoblit l'acanthe, 8
Et sur vos fraîches chrysoprases 8
Glisse l'intangible bacchante. 8
Voici fleurir, fleurir des roses 8
Vertes, noires, couleur de flammes, 8
35 Pour assoupir nos cœurs moroses, 8
Pour dorloter nos pauvres âmes. 8
Et des roses ensorcelées, 8
Captieuse, meurt la fragrance : 8
L'on dirait, au fond des allées, 8
40 Un musc lointain, exquis et rance. 8
Le vin d'amour, l'or et le jade, 8
Et la gloire, et la fleur du saule 8
Durent si peu ! Le vent maussade 8
Sur les tombes grises miaule, 8
45 Mais les bonnes chansons demeurent 8
Et clémentes sont les tempêtes 8
Aux saintes Roses qui ne meurent 8
Jamais sur le front des poètes. 8
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