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SSA_1/SSA28
Camille SAINT-SAËNS
RIMES FAMILIÈRES
1890
POÉSIES DIVERSES
L’ARBRE
L’arbre, dont on fera des planches, 8
Est vivant ; il lève ses branches 8
Comme de grands bras vers les cieux ; 8
Avec un murmure joyeux 8
5 Il agite son beau feuillage 8
Où l’oiseau plus joyeux que sage 8
En chantant viendra se poser ; 8
Il donne à la terre un baiser 8
De fraîcheur, dans la forêt sombre ; 8
10 On n’oserait compter le nombre 8
De ses feuilles et de ses fleurs ; 8
C’est une fête de couleurs 8
Quand sa verdure monotone 8
S’enrichit aux feux de l’automne 8
15 De pourpre et d’or ; dans ses ramures, 8
La nuit, comme en des chevelures 8
On voit briller les diamants 8
Aux yeux éblouis des amants, 8
Les constellations scintillent ; 8
20 Des peuples d’insectes fourmillent 8
Sur lui, vivent de son sang clair, 8
Pur et limpide comme l’air 8
Qui baigne sa cime orgueilleuse ; 8
L’enfant, la fillette rieuse, 8
25 Malgré son âge et son aspect 8
Auguste, viennent sans respect 8
Cueillir avec des cris de joie 8
Ses fruits savoureux, douce proie ! 8
Il est la force et la beauté ; 8
30 Il est la vie et la gaieté ; 8
À l’hamadryade pareille 8
Dans ses flancs se cache l’abeille… 8
La longue racine, sans bruit, 8
Trace son chemin dans la nuit. 8
35 Elle est l’obscure nourricière ; 8
Tandis qu’inondé de lumière 8
L’arbre balance dans l’azur 8
Son front verdoyant, d’un pas sûr 8
Elle s’enfonce dans la fange ; 8
40 L’arbre chante et rit, elle mange ; 8
La feuille respire, au soleil 8
La fleur ouvre son sein vermeil ; 8
Mais la racine vit sans joie : 8
Pour que l’arbre à nos yeux déploie 8
45 Tant de charmes et de splendeurs, 8
Il faut qu’au monde des laideurs, 8
De la pourriture fétide, 8
Elle plonge, dans l’ombre humide. 8
La froide limace, le ver, 8
50 Toute une faune de l’enfer 8
Rampe sur son écorce grise ; 8
Elle s’insinue, elle brise 8
La pierre sous son lent effort ; 8
Dans l’œil de la tête de mort 8
55 Elle enfonce ses radicelles 8
Sans hésiter ; elle est de celles 8
Qui ne s’arrêtent devant rien ; 8
Pour elle il n’est ni mal ni bien. 8
Oh ! Dans les rayons, les étoiles 8
60 Et l’azur, à travers les voiles 8
Des légers brouillards du matin, 8
Admirez l’arbre, le satin 8
Des feuilles, le velours des mousses, 8
Le vert tendre des jeunes pousses ; 8
65 D’un œil charmé voyez encor 8
L’éclat des fleurs et des fruits d’or : 8
Mais ne cherchez pas le mystère 8
De la racine sous la terre ! 8
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