Métrique en Ligne
SSA_1/SSA1
Camille SAINT-SAËNS
RIMES FAMILIÈRES
1890
PRÉLUDE
À M. L. J. C.
Te souviens-tu de la tonnelle 8
Où nous déjeunâmes si bien ? 8
De l’étincelante prunelle 8
De la servante, et de son chien ? 8
5 De l’omelette savoureuse ? 8
De notre langage indiscret ? 8
De la route au soleil poudreuse 8
Et des chênes de la forêt ? 8
En déjeunant, la Poésie 8
10 Fut le thème de nos discours, 8
Et le goût de cette ambroisie 8
À ma lèvre est resté toujours. 8
Pourquoi ? je ne saurais le dire, 8
Mais c’est un fait ; pour mon malheur, 8
15 Je souffre à présent le martyre 8
Qui s’attache au flanc du rimeur. 8
Je suis prisonnier de la Lyre ; 8
Apollon s’est fait mon geôlier. 8
Si rien ne calme ce délire 8
20 Je deviendrai fou à lier ! 8
C’est toi, méchant petit gavroche, 8
Qui m’as fait ce cadeau fatal ! 8
Ah ! que n’es-tu sur une roche 8
Resté dans ton pays natal 8
25 Où l’huile vierge mais épaisse, 8
L’ayoli prompt à revenir, 8
La brandade et la bouillabaisse 8
Auraient bien dû te retenir ! 8
Mais non ! c’est trop d’ingratitude ! 8
30 Pardonne à mon esprit pervers. 8
Entre nous, c’est la solitude 8
Qui m’a mis la tête à l’envers. 8
Tu ne seras pas responsable 8
Si mes vers me sont reprochés ; 8
35 C’est moi seul qui suis le coupable 8
Et je t’absous de mes péchés. 8
Ou plutôt je te remercie : 8
Tu m’as ouvert un coin des cieux. 8
Sache-le bien : la Poésie 8
40 Est ce qui console le mieux. 8
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