Métrique en Ligne
SOU_1/SOU2
corpus Pamela Puntel
Joséphin SOULARY
PENDANT L’INVASION
1871
MIL HUIT CENT SOIXANTE-DIX
Hurlez, fils de Brutus !
(PROPHÉTIE D'ORVAL.)
I
Fais place à l'inconnu qui monte, 8
Et descends, cadavre, à ton rang, 8
Toi qui te levas dans la honte 8
Et qui te couches dans le sang ! 8
5 Date néfaste, année impie,‘ 8
Par qui le passé lâche expie 8
Son orgueil, son luxe et son fard ; 8
Disparais, odieux fantôme, 8
Monstre fait d'un meurtre, — Guillaume ! 8
10 Et d’une trahison, — César ! 8
II
Comme un cauchemar inflexible, 8
Qui nous poingt toujours plus avant, 8
Des vertiges de l’impossible 8
Tu nous fis ce songe vivant : 8
15 La France, en sa splendeur vermeille, 8
S'endormant reine, et qui s’éveille 8
Égorgée aux bras d'un bandit ; 8
Mais qui, terrible en son martyre, 8
De son flanc douloureux retire 8
20 Le fer brisé qu’elle brandit ! 8
III
Comme il s'est incarné, le drame 8
Du vieux Goëthe, élève d’Hermès ! 8
Faust est ce roi qui vend son âme 8
A Bismarck-Méphistophélès ; 8
25 Et Gretchen, c'est la Germanie 8
Livrant à ce fatal génie 8
Son fol amour ensorcelé. 8
Ah ! Gretchen ! quel affreux mystère ! 8
Il vient d'assassiner ton frère, 8
30 Et l’or qu’il t’apporte est volé ! 8
IV
En a-t-il tué, de nos braves ! 8
En a-t-il volé, de notre or ! 8
Froid viveur aux voluptés graves, 8
Toujours plus ivre, il crie : « Butor ! » 8
35 Dans l’incendie et le carnage, 8
Déchaînant son rêve sauvage, 8
Il abat sur nos champs rougis 8
Plus de goules et de lamies, 8
Plus de terreurs et d'infamies 8
40 Qu’au sabbat n'en voit Walpurgis. 8
V
Année aux visions funèbres, 8
Nuit d'épouvante et de péril, 8
Sortirons-nous de ces ténèbres ? 8
Le coq enfin chantera-t-il ? 8
45 Qu’il chante ou non, debout la Gaule ! 8
Arme ton bras, ceins ton épaule, 8
Et combats le combat mortel ! 8
N'es-tu pas la fille d'Antée 8
Qui, terrassée et non domptée, 8
50 Ne craint que la chute du ciel ? 8
VI
Allons, les champs ! allons, les rues ! 8
Improvisez les bataillons ! 8
Fais-toi mousquet, fer des charrues ! 8
Fais-toi héros, rustre en haillons ! 8
55 Beaux époux, désertez la couche ; 8
Doux baisers, oubliez la bouche ; 8
Soucis charmants, quittez le cœur ! 8
Et vous nos sœurs, avant qu'on parte, 8
Jetez le mâle adieu de Sparte : 8
60 « Qu’on revienne ou mort ou vainqueur ! » 8
VII
Jours d'héroïque sacrifice ! 8
Votre légende fera voir 8
La nation grande au supplice, 8
Bien plus grande encore au devoir. 8
65 Et toi, ma ville aux deux beaux fleuves, 8
On saura comme en ces épreuves 8
Ton vieil honneur fut outragé, 8
Quand sur ton blason séculaire 8
On vit le lion populaire 8
70 Se croiser du loup enragé. 8
VIII
Tandis que ta mère agonise 8
Et que ta noble sœur Paris, 8
Dans un effort qui l’éternise 8
La couvre de ses bras meurtris, 8
75 Aux regards du jour que tu souilles, 8
Tu jouais aux dés ses dépouilles 8
Dans quelque tripot clandestin, 8
Et l'émeute où Brutus te pousse 8
Armait ta sinistre Croix-Rousse 8
80 Des poignards du mont Aventin. 8
IX
Vierge tardive, ô République ! 8
N'es-tu qu’au prix d’un châtiment, 8
Et faut-il toujours qu'on applique 8
Les fers à ton enfantement ? 8
85 Qu’adviendra-t-il, si ta nourrice, 8
Femme des nerfs et du caprice, 8
Te nourrit d'un lait tourmenté, 8
Et si le bras lourd qui te mène 8
Fait de ta lisière une chaîne 8
90 Qui torture ta liberté ? 8
X
Ainsi nul sens ne se dégage 8
Des rudes leçons du passé ; 8
Ainsi nul débris ne surnage 8
Qui ne soit du pied repoussé ! 8
95 L'esprit humain, marcheur qui rêve, 8
D'un casse-cou ne se relève 8
Que pour tomber plus bas encor ; 8
Et l'instinct, épiant sa chute, 8
Plus âpre se rue à la lutte 8
100 Où de l'âme s'éteint l'essor ! 8
XI
Si ce qu'un siècle noue à peine 8
Peut d'un souffle se délier ; 8
Si d'un seul bond la bête humaine 8
Doit toujours briser son collier, 8
105 Rentre au néant, nouvelle année ! 8
Sur la terre, au mal condamnée, 8
Rien ne change, ni temps, ni lieu. 8
Ce qu'on attend vaut ce qu'on laisse, 8
La force est droit, la foi faiblesse… 8
110 Qu'on ne nous parle plus de Dieu ! 8
XII
Mais si tu dois, comme une étoile, 8
Monter à notre ciel boudeur ; 8
Si tu nous gardes sous ton voile 8
La ceinture de la Pudeur ; 8
115 Si tu ramènes à ta suite 8
Le cortège des dieux en fuite : 8
Amour, Justice et Vérité ; 8
Hâte-toi, nouvel an, d'éclore ! 8
Nous saluerons en toi l’aurore 8
120 Du réveil de l'humanité. 8
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