Métrique en Ligne
SIL_5/SIL207
Armand SILVESTRE
LE PAYS DES ROSES
1880-1882
A TRAVERS LA VIE
QUAM PULCHRA ES, AMICA !
I
COMME l'ombre d'un vol d'oiseau 8
Sur la neige d'une colline, 8
Sur ton front blanc, double réseau, 8
L'ombre de tes cheveux s'incline 8
5 Pareille à l'écume d'argent 8
Du flot qui sur les bords s'apaise. 8
Montant vers elle et la frangeant, 8
La candeur de ton front la baise. 8
Tant de nuit et tant de clarté 8
10 Sur ton front mêlent leur caresse 8
Que mon Rêve y flotte, agité, 8
Entre l'espoir et la détresse ! 8
II
Dans tes yeux, tes beaux yeux d'enfant, 8
S'allume, lorsque tu t'éveilles, 8
15 L'or clair d'un soleil triomphant 8
Que mirent deux sources pareilles. 8
Quand un rêve passe sur eux, 8
On dirait l'haleine opaline 8
Qui descend sur les lacs ombreux 8
20 A l'heure où le couchant s'incline. 8
En les contemplant tour à tour, 8
J'y trouve — allégresse ou souffrance — 8
Tantôt l'aurore d'un amour, 8
Tantôt le soir d'une espérance ! 8
III
25 Fruit mûr dont un couteau vainqueur 8
A fendu la chair savoureuse, 8
Qui saigne et garde encor au cœur 8
L'éclair de l'acier qui le creuse, 8
Teinte de pourpre aux tons ardents 8
30 Comme une blessure farouche, 8
Sur le clair frisson de tes dents 8
S'ouvre et se referme ta bouche. 8
Mon Rêve, n'osant s'y poser, 8
Craint d'y sentir, comme une lame 8
35 Sous le miel divin du baiser 8
Le froid mépris qui perce l'âme ! 8
IV
De ta voix la mer a rythmé 8
La musique puissante et douce ; 8
On dirait, sur le flot calmé, 8
40 Une lyre qu'un souffle pousse. 8
Les vagues font, en l'effleurant, 8
Tinter l'or des cordes sacrées, 8
Et le vent du soir, en pleurant, 8
Y met des notes déchirées. 8
45 Par ce chant immortel bercé, 8
J'écoute, en des heures trop brèves, 8
Fuir sur l'océan du Passé 8
Le vaisseau brisé de mes Rêves ! 8
V
D'un rayon d'aurore attaché, 8
50 L'arc radieux de ton sourire 8
Ferme et tend, sur un trait caché, 8
Sa courbe adorable à décrire. 8
Il se rouvre sur le sillon 8
De la flèche au ciel envolée 8
55 Comme le vol d'un papillon 8
Se rouvre sur la brise ailée. 8
Chaque flèche, en touchant mon cœur, 8
Met, dans ma blessure éternelle, 8
Ou le froid de son fer vainqueur 8
60 Ou la caresse de son aile. 8
VI
L'âme des Paros abolis 8
L'antique neige des Tempées, 8
La pâleur des têtes de lis 8
Pour les fêtes des Dieux coupées ; 8
65 Toutes les blancheurs que le Temps 8
A proscrites ou méconnues, 8
Renaissent en tons éclatants 8
Sur ta face et ta gorge nues. 8
C'est qu'il leur fallait, pour cela, 8
70 Retrouver la splendeur des lignes, 8
Qu'aux cieux autrefois révéla 8
Léda, la charmeuse de cygnes ! 8
VII
Sur le vol d'une tourterelle 8
Tes mains jadis, en se fermant, 8
75 Prirent au contour de son aile 8
Leur grâce et leur dessin charmant. 8
Aussitôt qu'un geste déploie 8
Leur blancheur, onduleux trésor, 8
On dirait le frisson de joie 8
80 D'un oiseau qui prend son essor. 8
Ombre douce et douce lumière ! 8
Je sens mon âme, tour à tour, 8
Sous leur étreinte prisonnière 8
Et, par elles, rendue au jour ! 8
VIII
85 Couchants qui faites, sur la plaine, 8
Fumer l'or clair d'un encensoir ; 8
Roses dont la dernière haleine 8
Fait trembler les rideaux du soir ; 8
Souffles printaniers que balance 8
90 La clochette des lilas blancs ; 8
Arômes, qu'avec le silence, 8
La Nuit traîne sur ses pas lents ; 8
Parfums des choses, qu'effarouche 8
L'aile impitoyable du Vent, 8
95 Mon Rêve vous boit sur la bouche 8
Que je n'effleure qu'en rêvant ! 8
IX
Comptant les grâces immortelles 8
Qui font l'honneur de ta Beauté 8
Et dont les puissances sont telles 8
100 Que j'en fus à jamais dompté, 8
De t'avoir sans relâche aimée, 8
Même d'un amour méconnu, 8
Dans mon âme à l'espoir fermée 8
Un immense orgueil est venu. 8
105 Qui sait, du sourire ou des larmes, 8
Lequel en ce monde est meilleur ? 8
— Demeure fière de tes charmes. 8
— Je reste fier de ma douleur ! 8
logo du CRISCO logo de l'université