Métrique en Ligne
SIL_5/SIL135
Armand SILVESTRE
LE PAYS DES ROSES
1880-1882
IMPRESSIONS ET SOUVENIRS
MATUTINA
La gloire du matin monte dans les cieux calmes
Et ferme, en souriant, les ailes du sommeil,
Et le jour triomphant pose son pied vermeil
Sur les nuages blancs couchés comme des palmes.
I
O malin vermeil qui descends 8
Les marches d'azur des collines, 8
Et jusque vers la plaine inclines 8
Ton faisceau de rayons naissants 8
5 O Faucheur des ombres dressées 8
Aux sillons obscurs de la Nuit, 8
L'or vivant qui dans tes mains luit 8
Vient des étoiles amassées. 8
Dans le champ des cieux parcourus, 8
10 Comme le moissonneur sa gerbe, 8
Tu nous fais le soleil superbe 8
De tous les astres disparus. 8
En cueillant les fleurs de lumière, 8
O Matin, as-tu respecté 8
15 L'étoile de qui la clarté 8
Sur mon front brilla la première ? 8
L'astre pâle et silencieux 8
Qui s'envole aux pas de l'aurore 8
Et que mon rêve cherche encore 8
20 Au profond du jardin des cieux ? 8
Ah ! que jamais la main cruelle 8
Ne touche cette fleur d'amour 8
Et n'effeuille aux flammes du jour 8
Cette rose spirituelle ! 8
II
25 Lent parmi le calme des eaux 8
Où se double le ciel nocturne, 8
Le nénuphar, sous les roseaux, 8
Ouvre l'or pâle de son urne. 8
Le Matin qui passe, tout blanc, 8
30 Croit voir une étoile tombée 8
Prise aux verdures de l'étang, 8
Comme l'aile d'un scarabée. 8
Vers l'astre captif, plein d'ardeur 8
Il étend la main qui délivre ; 8
35 Mais, de sa tiède et fine odeur, 8
La fleur l'enveloppe et l'enivre : 8
Il s'endort et, sous son front pur, 8
Passent les visions aimées 8
D'un ciel terrestre dont l'azur 8
40 A des étoiles parfumées. 8
Tel désertant l'immensité, 8
J'ai rencontré sur une grève 8
Une femme dont la beauté 8
M'a fait le prisonnier d'un rêve. 8
III
45 C'est aux rayons d'un matin clair, 8
A l'heure où s'éveille la plaine, 8
Que je voudrais mêler, dans l'air, 8
Au vent frais ma dernière haleine. 8
Elle irait, sous les cieux pâlis, 8
50 Et suivrait l'âme parfumée 8
Qu'au cœur énamouré des lys 8
La nuit a longtemps enfermée. 8
Sur l'aile des papillons blancs 8
Que le frisson du jour déploie 8
55 Elle irait, aux feuillages lents, 8
Des brises apporter la joie. 8
Et, fidèle à l'appel vainqueur 8
Qui sonne à l'Orient de cuivre, 8
Elle se perdrait dans le chœur 8
60 De tout ce que l'aube délivre ! 8
IV
Des jardins de la nuit, s'envolent les étoiles. 12
Abeilles d'or qu'attire un invisible miel, 12
Et l'aube, au loin tendant la candeur de ses toiles, 12
Trame de fils d'argent le manteau bleu du ciel. 12
65 Du jardin de mon cœur qu'un rêve lent enivre 12
S'envolent mes désirs sur les pas du matin, 12
Comme un essaim troublé qu'à l'horizon de cuivre 12
Appelle un chant plaintif éternel et lointain. 12
Ils volent à tes pieds, astres chassés des nues, 12
70 Exilés du ciel d'or où fleurit la beauté 12
Et, cherchant jusqu'à toi des routes inconnues, 12
Mêlent au jour naissant leur mourante clarté. 12
V
L'aurore frange de carmin 8
La robe grise de la nue 8
75 Et brode, en passant, l'avenue 8
D'un double feston de jasmin 8
Une aiguille d'or à la main, 8
Comme une fée elle est venue 8
Mettre leur parure connue 8
80 Au ciel d'azur au vert chemin. 8
Comme Pénélope, sans trêve, 8
Elle recommence le rêve 8
Qu'emportera la fin du jour. 8
Renaissante et mourante flamme, 8
85 Ainsi recommence dans l'âme 8
L'œuvre éternelle de l'amour. 8
VI
Comme une floraison de lys, 8
Monte des horizons pâlis 8
Une aube aux langueurs d'amoureuse 8
90 Devant ses appâts nonchalants, 8
Le Rideau Des Nuages Blancs. 8
S'ouvre et son lit d'azur se creuse. 8
Les collines, sous ses beaux seins, 8
Se frangent, moelleux coussins, 8
95 D'une vapeur de mousseline, 8
Et, sur l'oreiller que lui font 8
Les brumes au duvet profond, 8
Sa tête se pâme et s'incline. 8
Pâle amoureuse du soleil, 8
100 Voici que ton époux vermeil 8
Bondit, superbe, sur ta couche 8
Et que tu t'enfuis du ciel bleu ; 8
Car son premier baiser de feu 8
A brûlé ton âme à ta bouche 8
105 Sur le grand mont échevelé, 8
Le sang de ta lèvre a coulé, 8
Teignant son faîte en rose pâle, 8
Et, du bord du ciel éperdu, 8
Un fleuve d'or est descendu 8
110 Emportant ton beau corps d'opale. 8
Mais quand il reviendra, le soir, 8
Au lit de l'horizon s'asseoir, 8
Le Dieu farouche et solitaire, 8
La mer s'emplira de sanglots 8
115 Et le soleil à larges flots 8
De son sang rougira la terre ! 8
VII
Aube qui nais, aube fragile 8
D'un jour qu'emportera la nuit, 8
Sans réchauffer mon cœur d'argile, 8
120 Ton inutile flamme luit. 8
Aube qui nais, aube qui roses 8
Le ciel de fragiles couleurs, 8
Sans distraire mes yeux moroses, 8
S'ouvrent tes yeux tremblants de pleurs ! 8
125 Aube qui nais, aube qui chantes 8
Et dont la voix nous dit d'aimer. 8
Sur mes espérances penchantes 8
Tu passes sans les ranimer. 8
Aube qui nais, aube qui pleures 8
130 Sur les lys tes larmes d'argent, 8
Sans prendre notre âme à ses leurres 8
S'envole ton éclat changeant ! 8
Fouillant l'horizon, ma prunelle 8
Cherche derrière les sommets 8
135 L'aube sans fin, l'aube éternelle 8
Du jour qui ne viendra jamais ! 8
VIII
Tandis que l'aurore dénoue 8
Les cheveux ardents du soleil, 8
L'or des tiens, flottant sur ta joue, 8
140 Luit d'un rayonnement pareil. 8
Tes bras nus et ta gorge nue 8
Que baisent tes cheveux mouvants 8
Se colorent, comme la nue, 8
De frissons roses et vivants. 8
145 Et la bouche où l'âme attirée 8
Trouve une éternelle prison 8
S'ouvre comme la fleur pourprée 8
Qui monte au bord de l'horizon ! 8
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