Métrique en Ligne
SAM_5/SAM182
Albert SAMAIN
Poèmes inachevés
1924
Dans la salle aux tiédeurs féminines d'église 12
Où le Mourir des fleurs lentes se subtilise, 12
De larges fleurs berçant dans l'air triste du soir 12
Leurs coupes de velours lourdes de nonchaloir, 12
5 Éparses dans le sombre en blancheurs indécises 12
Des femmes aux grands airs indolents sont assises, 12
Qu'on dirait d'un pays et d'un temps très lointains. 12
Des femmes pâles dans des vagues de satins. 12
Et ces Dames ce sont mes intimes Pensées 12
10 En silence par les fleurs larges encensées, 12
Et qui, de leurs beaux yeux qu'éclaire à son reflet 12
Le rêve intérieur sous leurs longs cils voilé, 12
Regardent sur le parc au faste séculaire 12
S'effeuiller en lys bleus l'heure crépusculaire. 12
15 Immobiles, les mains vagues, le col penchant, 12
Elles rêvent, le cœur vers le soleil couchant 12
Qui, s'épuisant encore en caresses subtiles, 12
Traîne un rayon mourant dans leurs yeux immobiles 12
Et semble à leurs pâleurs fragiles prodiguer 12
20 La câline douceur d'un adieu fatigué. 12
Or de ces Dames, l'une a nom Mélancolie, 12
L'autre Amertume, l'autre Espérance-Abolie, 12
Puis encor Souvenir, Exil, Renoncement, 12
Volupté, Lassitude et Découragement. 12
25 A leur souffle si faible, à leur mourante haleine 12
Le miroir le plus pur se ternirait à peine, 12
Et si fluides sous leurs longs cheveux flottants, 12
Et telles, on dirait, les filles de l'Étang, 12
De l'Étang qui reflète en son cœur monotone 12
30 Les somptuosités tristes des soirs d'automne. 12
La plus fière, rigide en ses brocarts lamés, 12
A nom Indifférence et ses yeux sont fermés ! 12
L'ombre à flots vaporeux baigne les troncs des arbres, 12
Les eaux, les jardins bleus où s'érigent les marbres ; 12
35 Et les roses dans les grands vases florentins 12
Versent un lourd vertige aux horizons lointains. 12
Mais de l'Occident riche où la lumière sombre 12
Ce qui s'exhale est triste à l'infini dans l'ombre ; 12
Et les femmes penchant leur peine sur les fleurs 12
40 Dans l'âme des parfums respirent leurs douleurs 12
Et sentant dans leur cœur opprimé par la terre 12
Descendre comme un grand désespoir solitaire… 12
C'est dans la salle triste et dans le soir navré 12
Un long sanglot montant comme un Miserere. 12
45 Or, voici s'élever, là-bas, vers la rivière 12
La sonore chanson des bonnes Lavandières 12
Qui reviennent, parmi des rires ingénus, 12
Saines, le baiser frais des eaux à leurs bras nus, 12
Contentes du labeur utile des Journées 12
50 Et soumises dans leur simplesse aux Destinées. 12
Leur chant robuste verse, en larges accords purs, 12
Un flot vivant de joie et d'aise aux champs obscurs ; 12
Et rien qu'en l'entendant, là-bas, les mornes femmes 12
Sous le satin splendide ont eu froid dans leurs âmes 12
55 Et, le cœur traversé du grand frisson humain, 12
Ont crié vers la vie, en meurtrissant leur sein. 12
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