III |
LA MAISON DES PYRÉNÉES |
XI |
L'IF |
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Le sol était jonché d'une automne craquante ; |
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Et je faisais, au fond des bois où je fréquente, |
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Mon petit tour contemplatif. |
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Les buissons roux étaient comme un cercle de faunes. |
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Soudain, il me sembla, parmi les arbres jaunes, |
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Que je voyais jaunir un if. |
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« Eh quoi ! vous, l'arbre vert, toujours vert », m'étonnai-je |
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« Vous dont le vert profond reste noir sous la neige. |
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Vous, l'If, de ce jaune honteux ? » |
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Mais, semblant désigner d'un mouvement de branche |
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Les arbres dont sur lui tout l'octobre se penche, |
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L'If me répondit : « Ce sont, eux… |
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« Eux qui, supportant mal mes insolences vertes, |
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Des feuilles qu'ils perdaient ont mes branches couvertes. |
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Ces feuilles, innombrablement, |
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Se sont, comme des mains rageuses et crispées, |
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A tous mes verts piquants si jaunes agrippées, |
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Qu'on me croira jaune, un moment ! » |
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« — Quoi ! d'autres t'ont jeté ces feuilles que tu portes ? » |
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Il reprit : « L'arbre mort jette des feuilles mortes ! |
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Homme, ceci vous étonna ? |
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Agit-on dans vos bois autrement qu'en les nôtres ? |
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On prend toujours sur soi ce que l'on jette aux autres. |
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On ne prête que ce qu'on a. |
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« Il faut à son prochain que l'on prête, sans cesse, |
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Flétri, sa flétrissure, et, sec, sa sécheresse, |
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Et, mort, qu'on lui prête sa mort. |
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Quand nous différons d'eux, les arbres et les hommes |
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Veulent, de ce qu'ils sont couvrant ce que nous sommes, |
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Nous étouffer comme un remord ! |
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« Sachez-le, puisqu'il faut qu'un arbre vous éduque : |
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La feuille persistante à la feuille caduque |
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Ne devrait pas se laisser voir. |
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N'est-il pas naturel que, voyant ma verdure, |
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Ces arbres aient trouvé, pour cacher que je dure, |
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De se laisser sur moi pleuvoir ? |
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« Ah ! quand ils souffrent trop, les tilleuls et les chênes, |
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De ne laisser tomber sur les mousses prochaines |
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Que tous ces tristes haillons bruns, |
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Que ces maigres chiffons dont l'horreur tourne et vole, |
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Ils peuvent bien, mon Dieu ! si cela les console, |
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M'en attribuer quelques-uns ! |
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« Le vent n'aura besoin que d'une chiquenaude |
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Pour faire s'écrouler tout ce qui s'échafaude |
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Fallacieusement sur moi. |
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Je serai nettoyé par quelques brises fraîches. |
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Car ces feuilles ne sont que de pauvres, de sèches… |
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Que dis-tu ? Calme ton émoi ! |
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« Voilà bien les grands mots des hommes : calomnies ? |
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Feuilles mortes, tout simplement ! feuilles jaunies ! |
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En suis-je moins vert là-dessous ? |
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L'indulgence est facile aux arbres qui demeurent, |
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Et nous pouvons laisser à des arbres qui meurent |
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Le plaisir de mourir sur nous ! » |
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