Métrique en Ligne
ROS_1/ROS36
Edmond ROSTAND
LES MUSARDISES
1887-1893
III
LA MAISON DES PYRÉNÉES
I
LA MAISON
O toiture, tu te dessines ! 8
Asile vert, je te revois ! 8
Quatre colonnes de glycines 8
Supportent deux balcons de bois. 8
5 Le store met une paupière 8
Au regard d'un miroir sans tain ; 8
Et le bon jardinier Jean-Pierre 8
Flûte un petit rire enfantin. 8
L'étroit pont de schiste se marbre 8
10 Des ombres de la frondaison. 8
Le piano chante dans l'arbre, 8
Tant l'arbre est près de la maison. 8
La clôture est une volière 8
Où les oiseaux chantent en chœur 8
15 Qu'il faut bien agiter le lierre 8
Puisqu'il a la forme d'un cœur. 8
Toute cette maison chantante 8
Qui se mire dans un ruisseau 8
Sent le coutil, comme une tente, 8
20 Et sent l'iris, comme un berceau ! 8
Décoré d'une antique huche 8
Et de trois chaises, l'escalier 8
Sent la cire, comme une ruche, 8
Et la pomme, comme un cellier. 8
25 Au salon tendu de cretonne, 8
Un doux lustre vénitien, 8
Quand nos rires montent, s'étonne 8
De se sentir moins ancien ; 8
Les portes que le vernis dore 8
30 Semblent, pour rendre ce salon 8
Plus délicatement sonore, 8
Faites en bois de violon. 8
À voix haute on lit en famille 8
Tout ce qu'apporte le facteur, 8
35 Et la sonnette de la grille 8
Est la sonnette du bonheur ! 8
Je revois tout cela ! — L'abeille 8
Bourdonnait, et j'avais dix ans. 8
Ah ! je crois que je me réveille 8
40 Dans ma chambre aux parquets luisants ! 8
Les hauts volets de cette chambre 8
Étant de ce bois odorant, 8
De ce beau sapin couleur d'ambre 8
Que le soleil rend transparent, 8
45 Je pouvais, les fenêtres closes, 8
Dire que le ciel était bleu 8
Lorsque les volets étaient roses 8
Comme des doigts devant le feu ! 8
Pour voir les pics couverts de neige 8
50 En faisant le grand tour du val, 8
Le vieil écuyer du manège 8
Venait me chercher à cheval. 8
Je rentrais… Abeille, je t'aime, 8
Qui, comme un miel sur du pain sec, 8
55 Mettais sur le grec de mon thème 8
Un murmure beaucoup plus grec ! 8
Minutes que rendaient célestes 8
La mélodie et le travail ! 8
Tous nos orgueils étaient modestes 8
60 Comme des bijoux de corail. 8
Le soleil baignait Sauvegarde. 8
Monsieur l'Inspecteur des forêts 8
Envoyait souvent, par un garde, 8
Des fougères que j'adorais ! 8
65 Et cette maison de campagne 8
Sentait, lorsque tombait le jour, 8
La mousse, comme la montagne, 8
Le mystère, comme l'amour ! 8
Un grand chapeau garni de tulle 8
70 Pendait aux cornes d'un isard. 8
Mon père traduisait Catulle, 8
Et ma sœur déchiffrait Mozart. 8
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