Métrique en Ligne
ROS_1/ROS26
Edmond ROSTAND
LES MUSARDISES
1887-1893
II
INCERTITUDES
IV
MATIN
Il fait un temps si beau que l'on n'ose pas vivre. 12
On est comme l'enfant qu'intimide et qu'enivre 12
Le cadeau trop vermeil qu'il n'ose pas toucher. 12
On est comme devant une fleur de pêcher 12
5 Qu'on craint, en la cueillant, de connaître fragile. 12
Il fait un temps si beau qu'on dirait que Virgile 12
A voulu, ce matin, nous parler de plus près. 12
Un paysage entier fuit entre deux cyprès. 12
C'est l'heure la plus douce encor que l'on ait eue. 12
10 On descend vers le lac, et, comme la statue 12
Qu'éveillait peu à peu Monsieur de Condillac, 12
On n'est plus qu'un parfum de rose près du lac. 12
On ne sait pas pourquoi, ce matin, les buées 12
Se sont, aux flancs des monts, si bien distribuées. 12
15 C'est trop. L'on est honteux de ce matin si pur. 12
On devrait être heureux, baigné de tant d'azur 12
Qu'il semble qu'on respire au bout d'une presqu'île, 12
Mais, quand l'air est trop doux, le cœur n'est pas tranquille. 12
Il fait un temps si beau que, gauche et stupéfait, 12
20 On n'ose se servir de ce beau temps qu'il fait. 12
On voudrait décliner humblement l'atmosphère. 12
Il fait un temps si beau que, tout ce qu'on peut faire, 12
C'est de vivre. Et l'on vit. Mais non sans un remords. 12
Car ce temps est si beau qu'il fait penser aux morts. 12
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