Métrique en Ligne
ROS_1/ROS19
Edmond ROSTAND
LES MUSARDISES
1887-1893
I
LA CHAMBRE D'ÉTUDIANT
XIX
L'ALBUM DE PHOTOGRAPHIES
Cet album sur quoi tu te penches, 8
Je n'en peux voir sans un frisson 8
Les épais feuillets blancs qui sont 8
Pareils à des façades blanches ! 8
5 Je vois, dans le carton glacé, 8
S'ouvrir, à chacune des pages 8
Qui sont à deux ou trois étages, 8
Six fenêtres sur le passé. 8
On est là, la mine ravie ! 8
10 Et peut-être restera-t-on 8
A ces fenêtres de carton 8
Plus qu'aux fenêtres de la vie. 8
Jusques à quand souriront-ils 8
A ces fenêtres découpées 8
15 De maisonnettes de poupées, 8
Nos vieux trois-quarts, nos vieux profils ? 8
Sous leurs fermoirs et sous leurs moires, 8
Les vieux albums de vieux portraits 8
Laisseront s'effacer nos traits 8
20 Plus lentement que les mémoires. 8
On sera morts depuis longtemps 8
Qu'aux visiteurs priés d'attendre 8
Ces portraits feront encor prendre 8
Patience quelques instants. 8
25 On sera ces oncles, ces tantes, 8
Ces bonshommes gras ou fluets, 8
Ces haut-de-forme désuets, 8
Et ces robes trop importantes ! 8
Ces enfants dans des fauteuils, nus ; 8
30 Ces lycéens — depuis grands-pères ! — 8
Ces magistrats, ces militaires, 8
Tous ces morts, tous ces inconnus ! 8
Cessez, fenêtres minuscules, 8
De nous offrir aux yeux moqueurs 8
35 Lorsqu'il n'y aura plus des cœurs 8
Pour accepter nos ridicules ! 8
Ah ! nos portraits qui s'en iront 8
Dans les albums inévitables 8
Déposés sur les coins des tables 8
40 Où, doucement, ils jauniront ! 8
Morts, faudra-t-il que l'on remeure 8
D'abord dans les cœurs, puis encor 8
Sur ces cartons à biseau d'or 8
Où sinistrement on demeure ? 8
45 Jetez ces rois et ces valets 8
Dont s'éternise l'agonie ! 8
Puisque la partie est finie, 8
Jetez les cartes ! Jetez-les ! 8
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