Métrique en Ligne
ROL_3/ROL417
Maurice ROLLINAT
Paysages et Paysans
1899
Le Grand-Père
La fille au père Pierre, avec ses airs de sainte, 12
A si bien surveillé son corps fallacieux 12
Que sa grossesse a pu mentir à tous les yeux ; 12
Mais son heure a sonné de n'être plus enceinte. 12
5 Dans la grand' chambre on dort comme l'eau dans les trous. 12
Tout à coup, elle geint, crie et se désespère. 12
On se lève, on apprend la chose. Le grand-père 12
Continue à ronfler sous son baldaquin roux. 12
Mais le bruit à la fin l'éveille, et le voilà 12
10 Clamant du lit profond d'où sa maigreur s'arrache : 12
« Pierr', quoiq'ya ? — Pèr, ya rin ! — Si ! s'passe un' chos' qu'on m'cache ; 12
Et ma p'tit' fill' se plaint, j' l'entends ben ! quoi qu'elle a ? » 12
— Elle a qu'elle va faire un champi ! — Le bonhomme 12
Prend son bâton ferré qu'il brandit en disant : 12
15 « Dans not' famill' yaura l'déshonneur à présent ! 12
La gueus' ! vous voyez ben tous qu'i' faut que j'l'assomme ! » 12
Et, solennel, tragique, il marche d'un pas lourd 12
Jusqu'à la pâle enfant… mais, pendant qu'il tempête, 12
Tendre, il lève et rabat le gourdin sur sa tête, 12
20 Bien doux, frôleusement, d'un geste plein d'amour. 12
« R'commenc'ras-tu ? fait-il, ou là, comme un' vipère, 12
J'te coupe en deux ! j't'écras' la cervell' sur ton drap ! » 12
Elle gémit : « Jamais, grand-père ! » 8
Alors, le jeune frère égrillard qui ricane, 12
25 Glapit : « Oh ! q'si fait ben, grand-père, a r'commenc'ra 12
Puisqu'elle est chaude comme un' cane ! » 8
logo du CRISCO logo de l'université