Métrique en Ligne
ROL_3/ROL394
Maurice ROLLINAT
Paysages et Paysans
1899
Les petits Cailloux
I
Roulés par d'antiques déluges 8
Ou par des torrents disparus, 8
Sur tant de chemins parcourus 8
Ils ont rencontré des refuges. 8
5 Ils gisent au hasard du temps, 8
À la merci brusque de l'homme, 8
Dormant leur immobile somme, 8
Mornes, gais, obscurs, miroitants. 8
Il vous en apparaît, parfois, 8
10 Un tas tout blanc sous des aigrettes 8
D'herbes folles et de fleurettes 8
Dans la clairière d'un grand bois. 8
Certains, au pied d'un très vieil arbre, 8
Semblent au fond d'un ravin gris, 8
15 Sur une mousse vert-de-gris, 8
De beaux petits morceaux de marbre. 8
La chenille qu'humide ou sec 8
Un coup de vent jette ou remporte 8
Bien collée à sa feuille morte ; 8
20 L'aiguisage d'un petit bec ; 8
Fourmis au repos comme à l'œuvre ; 8
La rampade, le repliement 8
Tassé, le désenroulement 8
Brusque ou dormi de la couleuvre ; 8
25 Les divers grincés du grillon 8
Selon qu'il s'arrête ou qu'il flâne ; 8
La caresse d'un mufle d'âne ; 8
Le flottement d'un papillon : 8
Tout cela, léger, taciturne, 8
30 Ou d'un murmure si discret, 8
Ils l'ont ! et savent le secret 8
De plus d'une bête nocturne. 8
II
Ils ornent le recoin seulet, 8
Émaillent le sentier sauvage, 8
35 Le fossé, le mignon rivage 8
De la source et du ruisselet. 8
L'averse vient quand il lui plaît 8
Leur donner fraîcheur et breuvage ; 8
Le soleil, après ce lavage, 8
40 Les essuie avec un reflet. 8
Ovales, ronds, plats ou bombés, 8
Polis, blancs, jaunes, violâtres, 8
Ils attachent les yeux du pâtre 8
Aux longs regards inoccupés, 8
45 Comme ils frappent le solitaire 8
Qui, lassé du visage humain, 8
Trouve toujours sur son chemin 8
De quoi se pencher vers la terre, 8
Et leur aspect, même au temps froid, 8
50 Charme encor le plus triste endroit, 8
Car on sait que chacun recèle 8
Cet éclair soudain, rouge et bleu, 8
Cette âme furtive du feu : 8
La prestigieuse étincelle ! 8
III
55 Là, frôlés de ces glisseurs doux : 8
Le lézard, le ver et l'insecte, 8
Au bord d'une eau qui les humecte, 8
Ils rêvent les petits cailloux. 8
Au milieu des clartés éteintes 8
60 Le soleil, retardant sa mort, 8
Ajoute comme un glacis d'or, 8
Comme un frisson rose à leurs teintes. 8
Et, quand d'un invisible vol 8
Dans l'air, au chant du rossignol, 8
65 Vont les brises capricieuses… 8
L'astre sorcier qui les revêt 8
De son ombre magique, en fait 8
D'étranges pierres précieuses. 8
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