Métrique en Ligne
ROL_3/ROL383
Maurice ROLLINAT
Paysages et Paysans
1899
Solitude
Les choses formant d'habitude 8
Au plus fauve endroit leur tableau : 8
Les rochers, les arbres et l'eau, 8
Manquent à cette solitude. 8
5 D'un gris fané de vieille laine, 8
De couleur verte dénué 8
Et de partout continué 8
Par l'indéfini de la plaine, 8
Tel ce champ étend sa tristesse, 8
10 Sans un genêt, sans un chardon, 8
La ronce, indice d'abandon, 8
N'étant pas même son hôtesse. 8
Le ciel blanc, comme un morne dôme, 8
Tout bombé sur son terrain plat, 8
15 Raye d'un éclair çà et là 8
La lividité de son chaume. 8
On dirait une espèce d'île 8
Au milieu d'océans caillés, 8
Tant les quatre horizons noyés 8
20 Ont un enlacement tranquille ! 8
Le spectre ici ? Ce serait l'être 8
Dont on guette venir le pas, 8
Le quelqu'un que l'on ne voit pas 8
Mais qui pourrait bien apparaître. 8
25 En ce lieu d'atmosphère lourde, 8
Où couve un malaise orageux, 8
Il souffle un frais marécageux 8
D'odeur cadavéreuse et sourde. 8
Pas un frisson, pas une pause 8
30 Du silence et du figement ! 8
La pleine mort, totalement, 8
En a fait sa lugubre chose. 8
Mais ce qui, surtout, de la terre 8
Monte, funèbre, avec la nuit, 8
35 C'est l'effroi, la stupeur, l'ennui 8
De l'éternité solitaire. 8
On voit à cette heure émouvante, 8
D'aspect encor plus solennel, 8
Ce champ et ce morceau de ciel 8
40 Communier en épouvante. 8
L'espace devant l'œil dévide 8
Son interminable lointain 8
Emplissant le jour incertain 8
De son vague absolument vide. 8
45 Malgré l'amas de la tempête 8
D'un poids noir et toujours croissant, 8
Ici, le vent même est absent 8
Comme la personne et la bête. 8
L'ombre vient… l'horreur est si grande 8
50 Que je quitte ce désert nu, 8
M'y sentant presque devenu 8
Le fantôme que j'appréhende !… 8
logo du CRISCO logo de l'université