Métrique en Ligne
ROL_3/ROL378
Maurice ROLLINAT
Paysages et Paysans
1899
Les trois Noyers
Qui les planta là, dans ces flaques, 8
Au cœur même de ces cloaques ? 8
Aucun ne le sait, mais on croit 8
Au surnaturel de l'endroit. 8
5 Narguant les ans et les tonnerres, 8
Les trois grands arbres centenaires 8
Croissent au plus creux du pays, 8
Aussi redoutés que haïs. 8
À leur groupe un effroi s'attache. 8
10 Nul n'oserait brandir sa hache 8
Contre l'un de ces trois noyers 8
Qu'on appelle les trois sorciers. 8
Car, si le hasard les rassemble, 8
Il fait aussi qu'ils se ressemblent : 8
15 Ils sont d'aspect énorme et rond, 8
Jumeaux de la tête et du tronc. 8
Ils ont la même étrange mousse, 8
Et le même gui monstre y pousse. 8
Ils sont également tordus, 8
20 Bossués, ridés et fendus. 8
Et, de tous points, jusqu'au gris marbre 8
De leur écorce, les trois arbres 8
Pour les yeux forment en effet 8
Un trio sinistre parfait. 8
25 Par le glacé de leur ombrage 8
Ils rendent à ce marécage 8
L'humidité qu'y vont pompant 8
Leurs grandes racines-serpent. 8
Au-dessus du jonc et de l'aune 8
30 Leur feuillage verdâtre et jaune 8
Tour à tour fixe et clapotant 8
Est tout le portrait de l'étang. 8
On ne voit que le noir plumage 8
Du seul corbeau dans leur branchage ; 8
35 Et c'est le diable, en tapinois, 8
Qui, tous les ans, cueille leurs noix. 8
On dit qu'ils ont les facultés, 8
Les façons de l'humanité, 8
Qu'ils parlent entre eux, se déplacent, 8
40 Qu'ils se rapprochent, s'entrelacent. 8
On ajoute, même, tout bas, 8
Qu'on les a vus, du même pas, 8
Cheminer roides, côte à côte, 8
Dressant au loin leur taille haute. 8
45 Et l'on prétend que leurs crevasses, 8
Autant d'âpres gueules vivaces, 8
Ont fait plus d'un repas hideux 8
Des pâtres égarés près d'eux. 8
Enfin, tous trois ont leur chouette 8
50 Qui, le jour, n'étant pas muette, 8
Pousse des plaintes de damné 8
Dès que le ciel s'est charbonné. 8
Et chacune prédit un sort : 8
L'une clame la maladie, 8
55 Une autre annonce l'agonie, 8
La troisième chante la mort. 8
C'est pourquoi, funeste et sacrée, 8
L'horreur épaissit désormais 8
Leur solitude. Pour jamais 8
60 On se sauve de leur contrée ! 8
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