Métrique en Ligne
ROL_3/ROL366
Maurice ROLLINAT
Paysages et Paysans
1899
Tempête obscure
L'orage, après de longs repos, 8
Ce soir-là, par ses deux suppôts, 8
La nuée et le vent qui claque, 8
Se présageait pour l'onde opaque. 8
5 Grondante sous le ciel muet, 8
Par quintes, la mer se ruait ; 8
Puis, elle se tut, la perfide, 8
Reprit son niveau brun livide. 8
Malheur aux coquilles de noix 8
10 Alors sur l'élément sournois 8
D'un plat, d'un silence de planche, 8
Risquant leur petite aile blanche ! 8
Car, on le sent à l'angoissé, 8
Au guettant de l'air oppressé, 8
15 La paix du gouffre qui se fige 8
Couve la trame du vertige ; 8
Si calme en dessus, ses dessous 8
Cherchent, ramassent leurs courroux, 8
En effet, soudain l'eau tranquille 8
20 Bomba sa face d'encre et d'huile, 8
Perdit son taciturne intact, 8
Prit un clapotement compact. 8
Et voilà qu'à rumeurs funèbres 8
La tempête emplit les ténèbres. 8
25 Mais, pas un éclair zigzaguant : 8
Rien que l'obscur de l'ouragan ! 8
Ballottée en ce ciel de bistre 8
La lune folle, errant sinistre, 8
Comme une morte promenant 8
30 Sa lanterne de revenant, 8
À hideuses lueurs moroses 8
Éclairait ce drame des choses. 8
Souffle monstre, outrant sa fureur, 8
Le vent démesurait l'horreur 8
35 Des montagnes d'eau dont les cimes 8
Pivotaient, croulant en abîmes 8
Qui, l'un par l'autre chevauchés, 8
Distordus, engloutis, crachés, 8
Redressaient leurs masses béantes 8
40 En Himalayas tournoyantes, 8
Spectrales des froids rayons verts 8
Se multipliant au travers. 8
Et, toujours, la houle élastique 8
Réopérait plus frénétique 8
45 La métamorphose des flots 8
Dans des tonnerres de sanglots. 8
Vint alors tant d'obscurité 8
Que ce fracas précipité 8
N'était plus que la plainte immense, 8
50 La clameur du vide en démence. 8
Puis, l'astre blêmissant, terni, 8
Sombra dans le noir infini 8
Où son vert-de-gris jaune-soufre 8
Se convulsait avec le gouffre. 8
55 Les vagues par leurs bonds si hauts 8
Brassaient le ciel dans le chaos ; 8
Tout tourbillonnait : l'eau, la brume, 8
La voûte, les airs et l'écume, 8
Tout : fond, sommet, milieu, côtés 8
60 Dans le pêle-mêle emportés ! 8
Tellement que la mer, les nues, 8
Étaient par degrés devenues 8
Un même et confus océan 8
Roulant tout seul dans le Néant. 8
65 Et, pour l'œil comme pour l'oreille, 8
Existait l'affreuse merveille, 8
L'âme vivait l'illusion 8
De cette énorme vision, 8
Tout l'être croyait au mensonge 8
70 Du terrible tableau mouvant 8
Qu'avec l'eau, la lune, et le vent, 8
La Nuit composait pour le Songe. 8
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