Métrique en Ligne
ROL_3/ROL339
Maurice ROLLINAT
Paysages et Paysans
1899
Gendre et Belle-mère
I
Jean était un franc débonnaire, 8
Jovial d'allure et de ton, 8
Égayant toujours d'un fredon 8
Son dur travail de mercenaire. 8
5 Soucis réels, imaginaires, 8
Aucuns n'avaient mis leur bridon 8
À son cœur pur dont l'abandon 8
Était le besoin ordinaire. 8
Je le retrouve : lèvre amère ! 8
10 Ayant dans ses yeux de mouton 8
Un regard de loup sans pardon… 8
Quelle angoisse ? quelle chimère ? 8
Quelle mauvaise fée a donc 8
Changé ce gars ? Sa belle-mère ! 8
II
15 Il n'aurait pas connu la haine 8
Sans la vieille au parler bénin 8
Qui d'un air cafard de nonnain 8
L'affligeait et raillait sa peine. 8
Il avait la bonté sereine 8
20 Et l'apitoiement féminin. 8
Il n'aurait pas connu la haine 8
Sans la vieille au parler bénin. 8
Aujourd'hui, la rage le mène. 8
Pour mordre, il a le croc canin 8
25 Et son fiel riposte au venin. 8
Non ! sans cette araignée humaine, 8
Il n'aurait pas connu la haine ! 8
III
Il devint fou. Comme un bandit, 8
Il vivait seul dans un repaire, 8
30 Âme et corps ; gendre, époux et père, 8
Se croyant à jamais maudit. 8
Tant et si bien que, s'étant dit 8
Qu'il n'avait qu'une chose à faire : 8
Assassiner sa belle-mère 8
35 Ou se tuer ? — il se pendit ! 8
— Au sourd roulement du tonnerre 8
Que toujours plus l'orage ourdit, 8
Son corps décomposé froidit, 8
Veillé par un spectre sévère : 8
40 Encor, toujours, sa belle-mère ! 8
IV
La belle-mère se délecte 8
Au chevet de son gendre mort, 8
Et le ricanement se tord 8
Sur sa figure circonspecte. 8
45 Avec ses piqûres d'insecte 8
Elle a tué cet homme fort. 8
La belle-mère se délecte 8
Au chevet de son gendre mort. 8
Sitôt qu'on vient, son œil s'humecte, 8
50 Elle accuse et maudit le sort ! 8
Mais, elle sourit dès qu'on sort… 8
Et, lorgnant sa victime infecte, 8
La belle-mère se délecte. 8
V
Enterré, le soir, sans attendre, 8
55 Sur sa tombe elle est à genoux 8
Voilà ce qu'en son tertre roux 8
La croix de bois blanc peut entendre 8
« Enfin ! J'viens donc d't'y voir descendre 8
Dans tes six pieds d'terr' ! t'es dans l't'rou. 8
60 c'te fois, t'es ben parti d'cheux nous, 8
Et tu n'as plus rin à prétendre. 8
Rêv' pas d'moi, fais des sommeils doux, 8
Jusqu'à temps q'la mort vienn' me prendre, 8
Alors, j's'rai ta voisin' d'en d'sous, 8
65 J'manq'rai pas d'tourmenter ta cendre… 8
L'plus tard possible ! au r'voir, mon gendre. » 8
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