Métrique en Ligne
ROL_3/ROL307
Maurice ROLLINAT
Paysages et Paysans
1899
Les Genêts
Ce frais matin tout à fait sobre 8
De vent froid, de nuage errant, 8
Est le sourire le plus franc 8
De ce mélancolique octobre. 8
5 Lumineusement, l'herbe fume 8
Vers la cime des châtaigniers 8
Qui se pâment — désenfrognés 8
Par le soleil qui les rallume. 8
Les collines de la bruyère, 8
10 Claires, se montrent de plus près 8
Leurs dégringolantes forêts 8
Semblant descendre à la rivière. 8
Celle-ci bombe, se balance 8
Et huileusement fait son bruit 8
15 Qui s'en va, revient, se renfuit, 8
Comme un bercement du silence. 8
Le vert-noir de l'eau se confronte 8
Avec le bleu lacté du ciel 8
À travers la douceur de miel 8
20 D'un air pur où le parfum monte : 8
Un arome sensible à peine, 8
Celui de la plante qui meurt 8
Exhalant sa vie et son cœur 8
En soufflant sa dernière haleine. 8
25 Or, dans ces fonde où l'on commence 8
À voir, des buissons aux rochers, 8
Des fils de la Vierge accrochés, 8
Rêve un clos de genêts immense. 8
Ils épandent là, — si touffue, 8
30 En si compacte quantité ! 8
— Leur couleur évoquant l'été, 8
Qu'ils cachent le sol à la vue. 8
Ils ont tout couvert — fougeraies, 8
Ronce, ajonc, l'herbe, le chiendent. 8
35 Sans un vide, ils vont s'étendant 8
Des quatre cotés jusqu'aux haies. 8
A-t-il fallu qu'elle soit grande 8
La solitude de ce val, 8
Pour que ce petit végétal 8
40 Ait englouti toute une brande ! 8
Promenoir gênant, mais bon gîte, 8
Abri sûr, labyrinthe épais 8
Du vieux reptile aimant la paix 8
Et du lièvre qu'une ombre agite ! 8
45 Leur masse est encore imprégnée 8
Des pleurs de l'aube : ces balais 8
Montrent des petits carrelets 8
En fine toile d'araignée. 8
Parmi ces teintes déjà rousses 8
50 Du grand feuillage décrépit 8
Ils sont d'un beau vert, en dépit 8
Du noir desséché de leurs gousses. 8
Leur verdoiement est le contraire 8
De celui du triste cyprès : 8
55 Il n'évoque pour les regrets 8
Aucune image funéraire ; 8
Et pourtant, que jaune-immortelle 8
Leur floraison éclate ! Alors, 8
Tout bas, ils parleront des morts 8
60 Aux yeux du souvenir fidèle. 8
Ayant picoté les aumônes 8
Du bon hasard, dans les guérets, 8
Les pinsons, les chardonnerets 8
S'y mêlent rougeâtres et jaunes ; 8
65 Et souvent, aux plus hautes pointes, 8
Dans un nimbe de papillons, 8
On voit ces menus oisillons 8
Perchés roides, les pattes jointes. 8
Mais le soleil qui se rapproche 8
70 Perd sa tiédeur et son éclat. 8
Déjà, tel arbre apparaît plat 8
Sur le recul de telle roche ; 8
Toute leur surface embrumée 8
De marécageuse vapeur, 8
75 Les genêts dorment la stupeur 8
De leur extase inanimée. 8
Monstrueux de hauteur, de nombre, 8
Dans ce paysage de roc, 8
Ils sont là figés, tout d'un bloc, 8
80 D'air plus monotone et plus sombre. 8
En leur vague entour léthargique 8
Ils prennent, sous l'azur dormant, 8
Un mystère d'enchantement, 8
Une solennité magique. 8
85 Voici qu'avec le jour plus pâle 8
À droite, à gauche, on ne sait où, 8
Sur les bords, au milieu, partout, 8
On entend le chant bref du râle : 8
Et c'est d'une horreur infinie 8
90 Ce cri qui souterrainement 8
Contrefait le respirement 8
D'un être humain à l'agonie ! 8
Puis le ciel baisse à l'improviste, 8
Devient noir, presque ténébreux. 8
95 Les genêts s'éteignent. — Sur eux 8
La pluie avorte froide et triste. 8
Et le vent gémissant lugubre, 8
Au soir mauvais d'un jour si beau, 8
Emporte dans l'air et sur l'eau 8
100 Leur odeur amère et salubre. 8
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