Métrique en Ligne
ROL_2/ROL295
Maurice ROLLINAT
Les Névroses
1883
LES TÉNÈBRES
La Morgue
À Mallat de Bassilan.
Ceux que l'œil du public outrage, 8
— Noyés, pendus, assassinés, — 8
Ils sont là, derrière un vitrage, 8
Sur des lits de marbre inclinés. 8
5 Des robinets de cuivre sale 8
Font leur bruit monotone et froid 8
Au fond de la terrible salle. 8
Pleine de silence et d'effroi. 8
À la voûte, un tas de défroques 8
10 Pend, signalement empesté : 8
Haillons sinistres et baroques 8
Où plus d'un mort a fermenté ! 8
Visages gonflés et difformes ; 8
Crânes aplatis ou fendus ; 8
15 Torses criblés, ventres énormes, 8
Cous tranchés et membres tordus : 8
Ils reposent comme des masses, 8
Trop putréfiés pour Clamart, 8
Ébauchant toutes les grimaces 8
20 De l'enfer et du cauchemar. 8
Mais c'est de l'horreur émouvante, 8
Car ils ont gardé dans la mort 8
La détresse de l'épouvante 8
Et la révolte du remord. 8
25 Et dans une stupeur qui navre, 8
Le regard fixe et sans éclat, 8
Maint grand et maint petit cadavre 8
Semblent s'étonner d'être là. 8
C'est que, vierges et courtisanes, 8
30 Ceux des palais et des taudis, 8
Citadines et paysannes, 8
Les mendiants et les dandys, 8
Tous, pleins de faim on pleins de morgue, 8
Lorsqu'ils périssent inconnus, 8
35 Sont mis à l'étal de la Morgue, 8
Côte à côte, sanglants et nus ! 8
Et la foule âpre et curieuse 8
Vient lorgner ces spectres hideux, 8
Et s'en va, bruyante et rieuse, 8
40 Causant de tout, excepté d'eux. 8
Mais ils sont la chère pâture 8
De mes regards hallucinés. 8
— Et je plains votre pourriture, 8
Ô Cadavres infortunés ! 8
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