Métrique en Ligne
ROL_2/ROL289
Maurice ROLLINAT
Les Névroses
1883
LES TÉNÈBRES
L'Angoisse
Depuis que l'Horreur me fascine, 8
Je suis l'oiseau de ce serpent. 8
Je crois toujours qu'on m'assassine, 8
Qu'on m'empoisonne ou qu'on me pend. 8
5 L'Unité se double et se triple 8
Devant mon œil épouvanté, 8
Et le Simple devient multiple 8
Avec une atroce clarté. 8
Pour mon oreille, un pied qui frôle 8
10 Les marches de mon escalier, 8
Sur les toits un chat qui miaule, 8
Dans la rue un cri de roulier, 8
Le sifflet des locomotives, 8
Le chant lointain du ramoneur, 8
15 Tout bruit a des notes plaintives 8
Et se tonalise en mineur. 8
En vain tout le jour, dans la nue 8
Je plonge un œil aventureux, 8
Sitôt que la nuit est venue 8
20 Je courbe mon front malheureux, 8
Car, devenant verte et hagarde, 8
La lune interroge ma peur, 8
Et si fixement me regarde, 8
Que je recule avec stupeur. 8
25 Le lit de bois jaune où je couche 8
Me fait l'effet d'un grand cercueil. 8
Ce que je vois, ce que je touche, 8
Sons, parfums, tout suinte le deuil. 8
Partout mon approche est honnie, 8
30 On me craint comme le malheur, 8
Et l'on trouve de l'ironie 8
Au sourire de ma douleur. 8
Mon rêve est plein d'ombres funèbres, 8
Et le flambeau de ma raison 8
35 Lutte en vain contre les ténèbres 8
De la folie… à l'horizon. 8
La femme que j'aimais est morte, 8
L'ami qui me restait m'a nui, 8
Et le Suicide à ma porte 8
40 Cogne et recogne, jour et nuit. 8
Enfin, Satan seul peut me dire 8
S'il a jamais autant souffert, 8
Et si mon cœur doit le maudire 8
Ou l'envier dans son enfer. 8
logo du CRISCO logo de l'université