Métrique en Ligne
ROL_2/ROL287
Maurice ROLLINAT
Les Névroses
1883
LES TÉNÈBRES
Les Larmes
À Georges Lorin.
Le crâne des souffrants vulgaires 8
Est un ciel presque jamais noir, 8
Un ciel où ne s'envole guères 8
L'abominable désespoir. 8
5 Chaque nuage qui traverse 8
En courant cet azur qui luit, 8
Se crève en une douce averse 8
Apaisante comme la nuit. 8
Une pluie exquise de larmes 8
10 Sans efforts en jaillit à flots, 8
Éteignant le feu des alarmes 8
Et noyant les âpres sanglots. 8
Alors pour ces âmes charnues 8
Au martyre superficiel, 8
15 Les illusions revenues 8
Se diaprent en arc-en-ciel. 8
Mais le cerveau du solitaire, 8
Vieux nourrisson de la terreur, 8
Est un caveau plein de mystère 8
20 Et de vertigineuse horreur. 8
Du fond de l'opacité grasse 8
Où pourrit l'espoir enterré, 8
Une voix hurle : « Pas de grâce ! 8
Non ! pas de grâce au torturé ! » 8
25 Près des colères sans courage 8
Et qui n'ont plus qu'à s'accroupir, 8
La résignation qui rage 8
S'y révolte dans un soupir, 8
Et comme un vautour fantastique, 8
30 Avec un œil dur et profond, 8
La fatalité despotique 8
Étend ses ailes au plafond ! 8
Crâne plus terrible qu'un antre 8
De serpents venimeux et froids, 8
35 Où pas un rayon de jour n'entre 8
Pour illuminer tant d'effrois, 8
Par tes yeux, soupiraux funèbres, 8
Ne bâillant que sur des malheurs, 8
Tes lourds nuages de ténèbres 8
40 Ne se crèvent jamais en pleurs ! 8
Oh ! quand, rongé d'inquiétudes, 8
On va geignant par les chemins, 8
Au plus profond des solitudes, 8
Ne pouvoir pleurer dans ses mains ! 8
45 Jalouser ces douleurs de mères 8
Ayant au moins pour s'épancher 8
Le torrent des larmes amères 8
Que la mort seule peut sécher ! 8
Quand on voudrait se fondre en source 8
50 Et ruisseler comme du sang, 8
Hélas ! n'avoir d'autre ressource 8
Que de grimacer en grinçant ! 8
Oh ! sous le regret qui vous creuse, 8
Mordre ses poings crispés, avec 8
55 La paupière cadavéreuse 8
Et l'œil implacablement sec ! 8
Ô sensitive enchanteresse, 8
Saule pleureur délicieux, 8
Verse à jamais sur ma détresse 8
60 La rosée âcre de tes yeux ! 8
Que ta plainte humecte ma vie ! 8
Que ton sanglot mouille le mien ! 8
Pleure ! pleure ! moi je t'envie 8
En te voyant pleurer si bien ! 8
65 Car, maintenant, mon noir martyre, 8
De ses larmes abandonné, 8
Pour pleurer n'a plus que le rire, 8
Le rire atroce du damné ! 8
logo du CRISCO logo de l'université